Jacques Roux
Les amateurs de cinéma n’ont pas oublié le savoureux dialogue antre Louis Jouvet et Michel Simon, dans « Drôle de drame » de Marcel Carné (et Prévert), au cours duquel intervient la célèbre réplique rappelée ci-dessus. Le phrasé entre tous identifiable de Louis Jouvet fait sonner ce mot (bizarre) de telle façon qu’il l’arrache au langage commun dont il est issu. Au-delà de la suspicion dont le personnage joué par Jouvet entend le charger, il se nourrit lui-même de l’étrangeté qu’il est censé signifier. Bien après le visionnage du film (qui date de 1937 !) la séquence dans laquelle il intervient est entrée dans le domaine public, ne serait-ce, ces dernières années, que grâce aux extraits diffusés sur You Tube. Et elle installe, durablement semble-t-il, dans les consciences, l’extrême bizarrerie de ce simple mot, « bizarre », dont les étymologues ne savent trop s’il vient d’Espagne ou d’Italie, et dont la signification, tout aussi bizarrement il va de soi, oscille entre le mystère, le déconcertant, le menaçant et la drôlerie aussi, comme une sorte de clin d’œil à certaines facéties que les Surréalistes ont eu le tort de vouloir tirer vers le sérieux. Parce qu’il n’avait pas l’esprit de sérieux, mais la culture et le goût de l’aventure humaine (pas l’aventure des films de ce registre, mais l’aventure intérieure, celle qui plonge dans le ventre de nos pouvoirs cachés, de nos incertitudes, de nos recherches inquiètes, de nos trouvailles inattendues), un certain Serge Tekielski fonda, au cœur des années 70 du siècle dernier, dans un village ardéchois qui avait connu autrefois des heures de gloire, Lavilledieu, un « Musée du Bizarre ».
« Son » Musée du Bizarre !
Une bizarrerie sociétale et culturelle que Louis Jouvet, s’il avait vécu encore, se serait fait une joie d’adouber.
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