Le mas du Barret

Fernandel The Frenchman – Une mimique et tout est dit

Par Jacques Roux

Réponses muettes mais très parlantes

The Frenchman, photographies réalisées en 1948, corrigées en 1976, a été publié par les éditions Taschen (www.taschen.com) en 2015. Un ouvrage de référence à posséder absolument si l’on se veut « honnête homme ». Le principe est simple : partant du fait que Fernandel ignorait tout de la langue anglaise Halsman lui demandait de répondre par une mimique aux questions qu’il lui posait via un interprète. Des questions motivées par l’envie de comprendre comment un Français percevait ou interprétait les curiosités et les a priori d’un Américain moyen sur la façon de vivre de ses compatriotes. Les mimiques de Fernandel, photographié en gros plan et de manière totalement improvisée – on voit que la série est le fruit d’une seule séance, dont on dit qu’elle fut rondement menée, Fernandel étant sur le départ pour l’Europe – traduisent tour à tour la perplexité (« les règles du base-ball ? »), l’amusement, la complicité implicite (« comment le gouvernement français envisage-t-il de régler le problème de la dénatalité ? »), la défiance…Voire de plus subtiles attitudes, comme le détachement, non ostentatoire mais vaguement narquois (« Nous Américains sommes profondément opposés au péché, et vous, monsieur ? ».

Halsman, et sa recherche

Halsman est sans doute l’un des grands photographes portraitistes du XXème siècle. Il aura visé avec son objectif les plus grands personnages du monde politique et culturel de son temps (d’où le record de « Unes » de Life). Mais il était obsédé semble-t-il par le souci d’exploiter au mieux l’art qu’il pratiquait : la photographie. Comment ce mode de représentation, figeant les corps et les visages, qui plus est muet, pouvait-il rendre compte de la réalité de l’être humain, figure complexe, mobile, bavarde et éminemment changeante ? La série sur Fernandel est une tentative de réponse. On doit aussi se souvenir (Paris Match me semble-t-il en avait publié quelques extraits marquants et on trouve sur Internet une masse de clichés) d’une série représentant des personnalités de tous bords et de toutes nationalités prises alors qu’elles sautaient : la « jump série ». Le président Nixon étant l’un des plus célèbres de ces sauteurs.

Le saut de Halsman et Marilyn

Le saut de Jerry Lewis Dean Martin

Halsman s’est aussi approché au plus près de ce mystère : l’émergence du désir de créer et son incidence sur la vie de la personne qui se consacre à satisfaire ce désir. D’où une sorte de suivi de l’existence à la fois secrète et spectaculaire de Salvador Dali.

Dali au travail

Le « Frenchman » comme viatique

Il est évident que ce livre manifeste avec une clarté qui se passe de commentaire, je m’en dispenserai donc, la complicité profonde pouvant réunir deux personnes de nationalité, culture  et langue différentes, chacune œuvrant dans le monde de l’art mais dans des domaines et des registres distincts. Le montage du livre édité par Taschen est particulièrement simple et expressif. On lit d’abord la question. Elle vient d’ailleurs, on ne voit pas le questionneur, c’est un message langagier quasi abstrait, et l’on découvre en tournant la page la réaction qu’elle provoque sur le visage infiniment modulable du comédien français. La plupart du temps elle entraîne notre rire, à tout le moins un sourire, un de ces sourires intérieurs qui illuminent un instant et nous installent dans une sorte de plénitude heureuse. Au bilan, la promenade achevée, on n’aspire plus qu’à s’offrir une « reboule » comme disent les Ardéchois quand ils veulent « remettre ça ».

Quand on pose les fusils, les uniformes, les drapeaux et les slogans (ah ! les slogans !), quand on se regarde simplement, des individus appartenant à la même espèce, plongés dans le tourbillon d’existences d’une complexité si souvent incompréhensible, il est possible, dépassant toutes les barrières, de se comprendre. Et d’échanger, sinon des mots et des idées, un clin d’œil, un clin d’âme, un petit quelque chose pouvant servir de viatique pour la route à venir.

Appendice

« Nous espérons que vous avez goûté notre champagne californien ? »