Le mas du Barret

Les Madones de Saint-Vérand 2

Par Jacques Roux

Volet 2 La céleste Rêveuse

La Mère et l’Enfant

Les représentations de Marie sont multiples mais obéissent à quelques schémas préétablis (j’élimine d’entrée les compositions de groupe comme les « Adorations » des bergers ou des mages ou la « Présentation au Temple », ou encore la Vierge au pied de la Croix). En peinture un thème a été repris à l’infini : celui de l’Annonciation, suivi de près par celui de l’Assomption. Il serait intéressant de s’attarder sur les variations, parfois très subtiles et toujours signifiantes, des artistes autour de ces deux sujets. En sculpture, il y a le thème tragique de la Piéta mais, s’il a inspiré les plus grands créateurs (comme Michel-Ange) il est peu présent dans les lieux de culte ordinaires et encore moins dans les œuvres destinées au plein air. Saint-Vérand possède, on ne peut l’ignorer si on lit Le Mas du Barret, une « Vierge des champs », due au ciseau de Duilio Donzelli, thématique très courue en milieu rural (siège comme on le sait d’un attachement constant aux valeurs religieuses et autres traditions conservatrices), avec celui de la Vierge en prière, mains jointes, ou de la Vierge à l’Enfant. Ces deux dernières options sont d’ailleurs de celles qu’on retrouve le plus souvent dans les églises. Il ne fait aucun doute que les curés de village étaient sollicités par des fournisseurs agréés, sinon proposés, par la hiérarchie qui devaient œuvrer en série. Inutile dans ce cas de chercher une signature et ce serait un véritable travail d’enquête, que je ne saurais ni ne pourrais effectuer, pour retrouver dans l’histoire des deux derniers siècles les petites mains habiles qui surent créer les modèles de ces œuvres. Qui ne sont pas pourtant négligeables. Andy Warhol a su imposer au XXème siècle l’idée de la « série » en Art et nous savons que la lithographie, l’estampe, sont un moyen commode d’accéder à la propriété d’une œuvre. Aujourd’hui la photographie repose sur le même principe, même s’il existe le principe élitiste du « tirage numéroté » on sait que le potentiel de reproduction de l’original est illimité. Alors pourquoi faire la fine bouche devant la belle « Vierge à l’Enfant » présente dans la chapelle latérale de l’église de Saint-Vérand, même si l’on admet l’idée qu’elle possède ici ou là des sœurs jumelles ?

La vaporeuse nébuleuse

Je balaie de la main toute polémique de type « féministe » ou « anti » éventuellement suscitée par les propos qui vont suivre. Je ne suis pas ici dans la théorie ni même dans une réflexion cherchant à aborder ou évacuer des « valeurs ». Je rends simplement compte de ma propre expérience. Je ne suis après tout qu’un ex petit villageois ayant longtemps ignoré qu’il existait un « monde de l’art », plongeant ses racines au plus lointain de l’espèce à laquelle il appartenait et étendant ses ramifications sur tous les territoires occupés par cette espèce, indépendamment des climats, des modes de vie et des croyances. Ce petit villageois lorsqu’il contemplait – dans son village la religion catholique faisait partie du donné, comme les saisons, les champs, les bois ou la rivière Cumane dont j’ai parlé il y a peu – les images qu’on lui offrait pour son livre de prière (plus tard son « missel »), celles qui ornaient le Chœur de l’église ou les sculptures décorant celle-ci, se trouvait confronté à une traduction stylisée d’un réel absent. Absent parce que situé très loin dans le temps mais réel parce que, à la différence des contes ou des premiers récits lus dans les livres prêtés par la bibliothèque de l’école, la référence n’était pas imaginaire. Il s’agissait d’événements concernant des personnages de chair et d’os comme nous. Plus tard à l’école l’Histoire me confronta à cette même expérience avec les Gaulois, les Romains, les Rois de France… Or, la Vierge en représentation, celle visible sur les tableaux du Chœur, celle magnifiée par cette belle sculpture, version réduite mais réaliste, était une femme. La première femme non concrète entrant dans mon champ de vision et mon imaginaire. Je savais à quoi elle renvoyait, ma mère tout d’abord, ma tante, des êtres proches et chers, mais aussi la patronne du bistrot d’à côté, la voisine d’en face et sa fille, la maîtresse de l’école des filles (il y avait deux écoles distinctes, vestiges d’une longue tradition). Or ces femmes réelles, appartenant à mon quotidien, se retrouvaient transfigurées par cette image à part, dont l’origine alors ne me tourmentait pas, mais qui, en quelque sorte, exaltait la quintessence  de cette « autre » composante de la nature humaine. J’étais loin d’opposer féminité et virilité, notions qui n’avaient aucun sens pour moi, par contre je pressentais que l’élan qui poussait ma curiosité vers cet « autre » renvoyait à une nébuleuse vaporeuse inaccessible en l’instant mais réelle absolument.

La céleste Rêveuse

La Madone à l’Enfant de la petite chapelle latérale condensait pour moi les imprécises rêveries qui me traversaient et mon attachement aux femmes concrètes qui m’entouraient. L’étrange regard, le sourire à peine esquissé, l’attitude contemplative et lointaine de la céleste Rêveuse jouèrent pour moi la première partition de ce que m’offrirent ultérieurement toutes les œuvres d’art : l’écho distancié, transcendé et en quelque sorte intemporel du monde dans lequel je vivais.

Un monde agité, cruel, volatile et si vite amené à disparaître.