Le mas du Barret

Couper le cumacle ? Quelle drôle d’idée !

Par Michel Jolland

Lorsqu’au Barret, dans les années 1950 – 1970, nous parlions du « cumacle », c’était pour désigner la crémaillère qui servait à « accrocher la marmite » dans la cheminée. Des marmites il y en avait deux : la grande et la petite. Cette dernière était utilisée pour la soupe ou les plats cuisinés car elle avait l’avantage d’avoir conservé son couvercle, son « chanon » disait-on en parler local. La grande servait à faire chauffer l’eau pour divers usages, en prenant grand soin de ne pas trop la remplir pour une raison bien précise que ma grand-mère rappelait rituellement « le clou qui tient la crémaillière n’est pas solide, s’il tombe la moitié de la maison s’écroule ! ». La cheminée était une source permanente d’inquiétude. A la peur viscérale de l’incendie s’ajoutaient des craintes, justifiées, quant à la solidité de l’immense conduit à ciel ouvert, malmené par le temps et les intempéries et, disons-le, fort mal entretenu. Il arrivait fréquemment que quelque paquet de suie ou quelque morceau de l’enduit d’origine, friable et horriblement noirci, se détache pour venir souiller le contenu de la marmite. On comprend toute l’importance du couvercle !

Cependant, je n’ai jamais entendu, au Barret ni ailleurs, l’expression « couper le cumacle ». Et lorsqu’un jour Jacques Roux, fidèle rédacteur d’articles pour le Mas, m’en a parlé, je me suis interrogé sur sa fréquence et son contexte d’utilisation à Saint-Vérand et des les villages voisins. Tout naturellement, je me suis tourné vers les experts du parler rural dans les cantons de Vinay et Saint-Marcellin. Sans succès, puisque ni Christian Pevet, le dynamique président de l’association  « Quand le patois revit o pai de la franketa » (http://www.lelienlocal.com/association-quand-le-patois-revit-o-pai-de-la-franketa.html), ni les patoisants qui avec lui font vivre cet ancien parler tout en restituant son environnement matériel, social et culturel, ne connaissent cette expression. Jacques Roux pourtant, l’entendait souvent chez lui, au hameau « Le village » à Saint-Vérand. Quelques décennies se sont écoulées depuis et il a changé de département, mais aujourd’hui encore il se fait un devoir de continuer à l’utiliser en famille, non sans s’interroger sur le geste concret qu’elle est censée représenter, ni sur le sens qu’il convient de lui donner lorsqu’elle est employée au figuré. Il l’utilise comme on l’utilisait chez lui autrefois, habituellement pour saluer un événement jugé exceptionnel et plutôt positif : « Ouh la la, le Paul fait la vaisselle aujourd’hui, va falloir couper le cumacle ! ». Cela rappelle cette autre expression, un peu tombée en désuétude : « c’est un jour à marquer d’une pierre blanche ». A la différence près que, dans ma perception en tout cas, « couper le cumacle » sous-entend une forme de non-retour : « après ce que l’on vient de voir, le déluge peut arriver ! »… On se souvient que la crémaillère est toujours le premier objet cité dans les anciens inventaires après décès car elle symbolise le feu c’est-à-dire, en concurrence avec le mot « foyer », l’endroit où l’on habite. Vu sous cet angle, « couper le cumacle » équivaudrait en quelque sorte à détruire la maison.

Encore faut-il s’entendre sur la chose que l’on désigne par le mot « cumacle ». Selon  les sources, on distingue au moins trois significations : la crémaillère, le double crochet de la crémaillère ou encore un dispositif « porte-poêle ». L’équivalence entre le mot dauphinois « cumacle » et l’objet connu sous le nom de « crémaillère » est mise en évidence dans tous les ouvrages de référence. C’est indéniablement le sens premier. Même si de nos jours les crémaillères servent plus à suspendre des pots de fleurs que les marmites destinées à « faire cuire la soupe », chacun sait comment les modèles dits « chaînes avec crochets » , les plus répandus aux 19e et 20e siècles, servent à suspendre au-dessus du feu un récipient muni d’une anse et à régler sa distance par rapport aux flammes. Celle qui est reproduite ci-dessus n’est pas celle de la cheminée de la maison du Barret. Elle se trouvait dans l’incroyable bric-à-brac entassé au fond de la cave, sans doute achetée par mon grand-père dans une vente aux enchères. Il adorait ce genre d’événements et, au grand dam de ma grand-mère, il en revenait toujours chargé d’objets hétéroclites à l’utilité incertaine. Selon le dictionnaire Larchiver, le « cumascle », forme provençale du dauphinois « cumacle », désignerait la crémaillère dans son ensemble et, parallèlement, le crochet double qui en forme la dernière partie. Référence incontournable dans notre région, Armand Mante est plus précis. Page 217 de son Patois et vie en Dauphiné, le parler rural d’Izeron (Isère), il indique : « étrier et porte-poêle ».

Le Barret, mars 2004. Rafistolage improvisé pour une mémorable omelette au lard.

Un échange avec Jean-Michel Effantin, passionné de philologie, de franco-provençal et  de parlers drômois anciens, m’a fort opportunément orienté vers une nouvelle piste. Dans un courrier très documenté, il décrivait un accessoire indispensable pour utiliser une poêle dans une cheminée à feu ouvert, «  la chambreira », du même nom que la chambrière qui sert à maintenir en équilibre une charrette dételée. L’alinéa 5 de l’article correspondant du dictionnaire Larchiver (page 403) est sur ce point très éclairant : « chambrière : demi-cercle en fer, accroché à la crémaillère, pour soutenir la poêle au-dessus du feu, sans que l’on soit obligé d’en tenir la queue qui repose alors sur un autre objet au même niveau, comme un dossier de chaise ». Car la queue des poêles dont nous parlons ici est de longueur conséquente. Celle de la vieille poêle du Barret mesurait 1, 20 m. Pour être franc, c’est tout ce qu’il subsistait de ce vénérale ustensile de cuisine, le reste ayant été copieusement ruiné par la rouille. Mais, vestige ou pas, elle a encore été mise à contribution pour, attachée à une poêle plus récente qui, elle, avait perdu sa queue, cuire à même la braise une mémorable omelette au lard, le 17 mars 2004. Rétrospectivement, cette expérience ouvre des perspectives. Si l’on regarde attentivement les objets pendus à gauche de la cheminée du Barret, photographiée en 2005 peu avant la démolition de la maison, on remarque deux objets en ferraille : un petit trépied rond et un autre dispositif plutôt ovale avec une encoche et un anneau. Ne peut-on faire l’hypothèse que l’anneau se plaçait dans le crochet de la crémaillère de manière telle qu’il formait un « étrier porte-poêle » ?

Qu’il nous soit permis de soumettre cette hypothèse à la sagacité de nos lecteurs et, en les remerciant par avance, de solliciter également leur éclairage sur l’expression « couper le cumacle ». Avec un peu de chance, certains d’entre eux l’auront peut-être croisée, à moins qu’il ne s’agisse de l’une de ces curiosités linguistiques réservée à l’usage d’un cercle restreint, voire d’une seule famille. Ce ne serait pas le premier exemple mis en avant sur le Mas.

Évocation imagée de l’utilisation de l’étrier porte-poêle. A noter que par ses dimensions (diamètre du récipient, longueur et angle d’inclinaison de la queue) la poêle photographiée ici, achetée sur un vide-grenier dans les années 1990, est identique à celle de la maison du Barret.
Le Barret, mars 2004. La poêle « neuve » étant moins évasée que celle d’origine, l’angle d’inclinaison de la queue se trouve modifié.

NOTES

Les photos appartiennent à l’auteur. Droits réservés.

Un site occitan offre une intéressante analyse éthymologique du mot « cumacle » (https://www.espaci-occitan.com/asso/file/diccionari_alpin_oc.pdf).

Marcel LARCHIVER  est l’auteur du « Dictionnaire du monde rural – Les mots du passé ». Fayard.1997.

Le Mas a consacré plusieurs articles à Armand MANTE, patoisant, linguiste, poète et romancier. Voir, dans la série « Du côté de chez Mante », les publications des 25 octobre, 6 novembre, 15 novembre, 23 novembre et 6 décembre 2020.

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  1. Pingback: Du nouveau dans l’affaire du cumacle : Lo Kristian nez’ékri ! – Le mas du Barret

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