Le mas du Barret

Naissance d’une radio locale – Fréquence 7 : « Quand on y croyait »

Autocollant d'époque

Volet 1 On ne met jamais qu’un pied devant l’autre

Jacques Roux

Nous entrons semble-t-il dans une de ces périodes que l’histoire de notre pays a connues : périodes justement où il oublie l’existence de l’histoire ! Non qu’il n’y ait des historiens, des « spécialistes » et des spécialités universitaires, non qu’il n’y ait des cours d’histoire à l’école, mais je parle de la doxa plus ou moins baveuse qui habite ce que je n’ose nommer la « conscience » de la plupart des vivants français d’aujourd’hui. Qui semblent ignorer qu’ils seront morts demain, rayés des cartes, et qu’ils ne sont que les héritiers d’un lourd, parfois rayonnant, parfois sanglant, passé. Héritage qui non seulement informe le présent mais a glissé en lui des supports et pivots de pensées qu’on ne saurait négliger sans plonger dans le vertige que l’Europe a connu au temps de ses fascismes triomphants. Je pense en particulier à l’une de mes petites filles me reprochant d’utiliser le mot « nègre », et s’appuyant sur le discours de sa prof « d’histoire « (!) qui en faisait une insulte en soi. Je lui ai demandé si sa prof lui avait parlé de la « négritude » revendiquée par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Non, bien sûr, car ça c’était valable pour « mon temps ». Le temps d’avant. Il n’y a pas d’histoire, toute vérité est « d’ici et maintenant ». Cruelle révélation pour quelqu’un qui est né au temps de l’Hitlérisme, s’est convaincu en lisant Sartre qu’on pouvait dépasser le racisme, a traversé les grandes remises en cause des « systèmes » (y compris marxistes), 68 par exemple, les périodes ensoleillées des années baba cool, et cette lente et inexorable retombée cruelle d’après 2001 dans les noirceurs de la Haine érigée en principe de vie sociale. C’est pourquoi, fidèle à l’idée qui habite l’esprit du Mas  : la grande histoire n’est que la résultante des « petites », je me suis dit que pour donner un exemple d’une « vérité d’autrefois » restée vérité, il n’était pas inutile de revenir sur certains épisodes de ma propre histoire. Je raconterai ici la naissance de Fréquence 7, radio « locale » ardéchoise, dans la mouvance de la libéralisation des ondes voulue par François Mitterrand et son ministre Georges Fillioud.

« L’info n’est pas une opinion » (citation), elle est parfois mensonge

L’absence de mémoire historique fait que les usagers des smartphones et autres outils dits « connectés » (sic) ignorent qu’il y a moins d’un siècle, dans une France qui se voulait moderne, façonnée par le gaullisme, les radios et la télévision étaient sous la tutelle de l’État.  Giscard avait desserré la ceinture, pour la télé, néanmoins les 3 chaînes étaient « d’État » et ceux qui parlent de « censure » aujourd’hui quand on s’avise de leur couper la parole devraient revisiter les programmes de ces années-là. Quant aux radios, le rêve de radios « libres » était porté épisodiquement par quelques marginaux qui n’avaient entre eux aucun lien : ceux qui voulaient de « l’info locale » côtoyant et se heurtant à ceux qui réclamaient des musiques « pour s’éclater ». Je précise à l’attention des plus jeunes qu’Internet n’existait pas. Or, il y a quelques mois , mon épouse épluchant sur Internet (aujourd’hui incontournable) les informations concernant Aubenas et l’Ardèche, repéra un article consacré à la radio locale Fréquence 7. Une radio qui occupa un large pan de notre existence pendant une dizaine d’années à partir de 1981 puisque je fis partie des dix téméraires qui la créèrent. L’article en question, issu de l’édition locale du Dauphiné Libéré et « réservé aux abonnés » pour l’essentiel, donnait la parole (avec photo en tête de page) à une personne qui, bien après mon départ de la structure, fut employée par l’association quand celle-ci commença à faire glisser les tâches bénévoles vers des tâches rémunérées. La dite personne parlait comme si elle avait fondé la chose, « les premières années, ce n’était pas facile » disait-elle. Il faut reconnaître que la presse locale emploie souvent des plumitifs ignorant le passé le plus élémentaire de la zone qu’ils ont à couvrir. Et la déontologie du métier n’est plus leur fort. Il y a peu Michel Jolland et moi-même avons découvert un article sur la statue Notre-Dame des Champs de Saint-Vérand, signée Donzelli. Article copieusement pompé sur le Cahier spécial que nous avions consacré à cette œuvre au sein de l’association SVHA. La cerise sur le gâteau étant l’illustration (pour laquelle les droits de l’auteur étaient signalés comme « réservés » !). Il s’agissait d’une photographie représentant côte à côte Duilio Donzelli et le curé Jasserand. Photographie intégralement issue de l’ordinateur sur lequel je tape le présent article : il s’agissait d’un photogramme, que j’avais recadré, tiré du film réalisé par Noël Caillat sur l’érection du monument et que l’association SVHA avait fait numériser.  Honnêteté quand tu ne nous tiens pas !!

C’est pourquoi, à plus de 40 ans de distance, je vais tenter avec les moyens du bord, ma mémoire, celle de mon épouse et de quelques survivants que je pourrais croiser, retracer la naissance de Fréquence 7. Il s’agit moins en l’occurrence de venger ma fierté que remettre sur la table les faits et les êtres authentiques. Et ce sera moins un rapport qu’un récit, dans lequel la dominante affective tiendra évidemment sa place. 

Jean-François Lacour le porteur d’étoiles

Le projet Fréquence 7, qui n’était au début que le projet de créer une « radio locale », encore sans nom défini, naquit dans le cerveau, toujours en ébullition, de Jean-François Lacour. Je le connaissais parce que j’avais écrit (j’étais alors pigiste au Dauphiné Libéré), un article sur le disque « Revo » qu’il venait d’éditer.

Pochette du disque Revo

Revo était le nom d’un groupe, style pop de l’époque, dont il était leader et l’auteur compositeur de quasi tous les titres. Il écrivait à l’occasion pour des interprètes de la région, dont la lumineuse Cathy Perbost.

JF Lacour et la chanteuse Cathy Perbost

Musicien, il était aussi et je pense qu’il l’est resté, peintre. Ainsi m’a-t-il offert il y a longtemps de superbes estampes abstraites. Plus tard il édita des romans, puis des essais sur l’Ardèche, ses habitants, ses trésors. Ses talents ne s’arrêtent pas là, ni son énergie, lui qui, pourtant, était et reste de santé fragile. Il est en outre l’auteur d’un projet de « Centre des Arts Plastiques » à Aubenas, dont j’ignore si les promoteurs du récent et déconcertant « Centre d’art contemporain et du patrimoine » albenassien se sont inspirés.

Couverture document Lacour

Si j’insiste  sur lui c’est que, s’il existe encore aujourd’hui une station de radio ardéchoise du nom de Fréquence 7 c’est à lui et lui seul qu’on le doit. Sans jouer les chefs de troupe, ni théoriser une quelconque forme d’expression qui aurait porté sa marque, il rassembla autour de son « idée » quelques amis, quelques proches, pas nécessairement « motivés pour », ni riches de compétences, mais susceptibles de fournir quand il le fallait l’aide nécessaire. Je fus de ceux-là. Dire que cela m’enthousiasmait serait vraiment exagéré. Mon métier de prof (et d’animateur du Foyer des Élèves) au Lycée Olivier de Serres garnissait déjà copieusement mon emploi du temps. Je ne connaissais par ailleurs aucun des individus qu’il avait rassemblés, sinon Charles Volle, instituteur à l’école Beausoleil où ma fille était inscrite.

Et ses apôtres

Les autres, disons « Membres » puisqu’il fallut bien vite créer une structure associative, formaient un groupe plutôt hétéroclite. Il y avait un de ses  proches de ce temps-là, Jean Sirven (ou Sirvan?) qui ne m’aimait guère (sans doute parce que j’étais pour lui un « intello »), mais qui fit sa part du boulot et  mérite d’avoir son nom au bas du parchemin, n’en déplaise à l’article mensonger du DL. Autres amis proches, des Valsois comme lui, dont les parents avaient été aubergistes : les frères Perge. Deux autres frères, Charles Volle déjà nommé et Jean, qui fut (et qui était peut-être déjà) proviseur adjoint du Collège Roqua d’Aubenas. René Moulin, actuel maire de Laviolle, par ailleurs auteur d’un ouvrage sur l’Ardèche, faisait aussi partie de l’équipe. Nous étions collègues au Lycée agricole mais notre collaboration ici n’était que le fruit de nos relations avec Jean-François Lacour. Il y eut surtout, parmi tous ces héros de la première heure, un garçon nommé Régis Duchamp, qui me semble-t-il, travaillait au Cabinet Bancilhon, résistant historique et grand constructeur dans la cité ardéchoise. Régis était musicien (flûtiste), passionné par toutes les technologies audio-visuelles et il fut vite le pivot indispensable pour ce qui devait être l’essentiel du projet : la diffusion de « sons ». Il était équipé de magnétophones performants et disons le d’entrée, sans lui, pour qui tous les problèmes techniques n’étaient rien (on va arranger ça !), et son matériel, la radio du Bas-Vivarais aurait mis bien du temps avant de devenir opérationnelle ! Quand Régis était aux manettes, j’étais tranquille, je savais que même mes pires bourdes seraient masquées mine de rien par des artifices dont l’ingéniosité m’a toujours fasciné.

Régis Duchamp tel que je le voyais à l’époque

Avec lui j’animais tous les soirs un Journal « du soir » comme il se doit, et une émission (très) matinale « Jardins à la Française » qui à la fois faisait le point sur l’information nationale et locale et diffusait de la chanson française (discothèque perso, les disques ne furent achetés que bien plus tard!). Nous fumes ensuite associés pour une émission consacrée à la guitare classique (son épouse était guitariste) : « Guitaristes de notre temps ». En dix ans nous n’eûmes jamais le moindre accrochage, ce qui ne fut pas le cas, et très logiquement, avec mes autres partenaires !

Je dois ici avouer qu’il me manque un nom et que je crains de ne pouvoir le retrouver. Peut-être s’agit-il tout bonnement de Yves Paganelli, enseignant, maire de Chirols mais surtout émouvant auteur, compositeur, interprète. Il fut de toute façon, même s’il n’était pas dans le groupe initial, un allié et soutien. Il vient de mourir, hélas, il ne nous en dira pas plus. Idem pour Christophe Lurie, alors animateur au Centre social d’Aubenas, et qui devint grand reporter à France Info. Lui aussi décédé. Oui, la vie, ça passe vite.

Galères

Un projet n’est rien si sa mise en œuvre fait défaut. Les premières semaines, (sinon les premiers mois, nous sommes en 1981, après mai, je ne saurais donner plus de précisions de dates quant au processus qui s’est enclenché) furent cafouilleuses. Les rencontres se faisaient au hasard des disponibilités des uns et des autres. La plupart du temps nous trouvions refuge au Centre social de la rue Albert Seibel (à Aubenas). Le directeur Jean-Marc Chitry, homme de culture et musicien, avait l’esprit large. Même lorsque nous arrivions de façon impromptue, il y avait, sinon une salle, du moins une table et des chaises pour nous accueillir. Il me souvient aussi d’une rencontre, tard le soir, dans l’ancien restaurant de la famille Perge. La première difficulté était de trouver un terrain d’entente. Nous étions si différents. Pour quelques uns la problématique initiale était de trouver des jingles originaux pour les futures émissions. Pour d’autres, dont j’étais, c’était de réunir les conditions administratives et matérielles permettant le démarrage, sans risque, de la station. Précision : nous ne disposions ni de locaux ni de matériels. Il fallait chercher tous azimuts. Jean-François Lacour avait une piste bon marché (pour l’émetteur) en Italie. Certains exploraient la piste des platines nécessaires, j’appartenais au mini groupe qui, il était clair que ce n’était pas la préoccupation majoritaire, cherchait à se renseigner sur les procédures permettant de « lancer » une station de radio, en fonction des nouveaux dispositifs légaux. Très vite nous avons été au fait : il fallait créer une association type Loi de 1901, qui serait gestionnaire responsable de la station de radio proprement dite. Le moins qu’on puisse dire est qu’il fut « galère » de faire avaler aux amateurs de jingles la corvée de création des statuts, de leur déclaration et de la mise en œuvre légale des activités associatives (Assemblée générale, élection d’un Bureau, etc,).  On était si loin du « faire joujou » avec des micros !

Des statuts, sinon rien

Une de mes missions au Lycée agricole Olivier de Serres était de former les élèves à la création, la gestion et l’animation d’associations loi de 1901. Je pris donc la charge de ce dossier. Ce fut la source de conflits récurrents avec ceux d’entre nous qui trouvaient « qu’on pinaillait », qu’il y avait « plus urgent et plus utile à faire ». C’était vrai en un sens, tout était urgent, tout était utile. Trouver un émetteur, un lieu pour l’installer et  lui rattacher un studio  équipé (platines, micros), imaginer une grille de programmes, trouver qui pour animer chaque émission. Mais les statuts c’était la condition sine qua non pour entrer dans la légalité et échapper à la contrainte marchande. Beaucoup de jeunes radios sont devenues… ce que nous savons, des machines à diffuser du lieu commun musical et non musical, avec harponnage publicitaire obligé. Mais le fait est que nous n’avions pas un sou, sinon « nos » sous, et que nous avons réussi à porter le bébé sur les fonts baptismaux (en l’occurrence, d’abord, à Saint-Etienne de Fontbellon !) Mais pour cela il fallut les fameux statuts. J’avais été échaudé peu de temps auparavant, en participant à une association de quartier, le quartier « sensible » des Oliviers à Aubenas. J’avais été invité par les animateurs, Maryse et Bernard Forissier, excédés de ne pouvoir effectuer leurs missions à cause de l’incurie du Conseil d’administration. Cette incurie, la cause en fut vite évidente. Je partageais ce constat avec Claude Magnier, personnalité généreuse et lucide, alors secrétaire du Sénateur Maire Bernard Hugo ; les aléas de la vie politique nous ont conduits sur des chemins distincts, je le regrette d’autant plus que lui aussi a disparu. N’ont pas disparu en revanche les momies staliniennes (non repenties) qui défilent encore dans les rues avec leurs émules vertes, jaunes et noires, comme elles férues d’uniformes, drapeaux et barrages en tout genre. Ce sont ces représentants du PC (en 81 le Parti appartenait à l’Union de la Gauche qui avait soutenu François Mitterrand et il avait des Ministres… Et des adhérents, mais ça c’est du passé) qui, profitant de la porosité des statuts de l’association gestionnaire, bloquaient (déjà!) toute initiative qui ne cadrait pas avec le point de vue du « Parti ». Il y avait en effet un appendice prévoyant, pour le Conseil d’administration, une possibilité de Cooptation. N’étaient aucunement précisées la nature des personnes cooptées (à savoir si elles devaient être adhérentes de l’Association), ni la quantité minimale des personnes nécessaires pour coopter, ni même la quantité possible de cooptés ! J’avais d’ailleurs moi-même été « coopté », n’étant pas Membre pourtant, sur la seule base de mes éventuelles « compétences ». Et je suis convaincu que mon irruption et celle de M. Magnier, nous qui n’étions pas « du Parti », a suscité l’ire de ce dernier. Chaque réunion hebdomadaire voyait donc apparaître de nouveaux « cooptés », pas nécessairement les mêmes,  dont le seul souci semblait être d’empêcher toute prise de décision qui ne soit pas dans le droit fil de la « ligne » de la Cellule. Depuis cette période j’avais la hantise de ce type de dysfonctionnement et, bien avant les Statuts de « Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui », ceux de l’association gestionnaire de la future Fréquence 7 en subirent les conséquences.

De Source Sûre

Il fallut donner un nom à cette association. Et d’abord s’entendre sur le fait que l’Association n’était pas la Radio elle-même. Qui aurait son Règlement Intérieur, qui ne ferait pas nécessairement appel aux membres de l’Association et qui pour autant devrait respecter les principes de celle-ci et ses directives. Il fallait donc deux noms distincts. Je passe sur les tours de table et les disputes, la solution trouvée pour l’Association me semble encore aujourd’hui la meilleure possible : « De Source Sûre »  cela renvoie à la Radio et en quelque sorte annonce son souci d’objectivité et de vérité. Dans le même temps ce nom signale que la « source » qui alimente la radio est solide (et pas seulement certaine, double sens de l’adjectif « sûr »). En sus c’était, pour qui voulait le recevoir, un clin d’œil amusé à la source « authentique » et à la source « véritable » de la Loire que tout promeneur a visitées lorsqu’il s’est approché du Mont Sacré de l’Ardèche, le Gerbier de Jonc.

Fréquence 7

D’autres réunions pareillement agitées baptisèrent la station de Radio elle-même. Ce fut « Fréquence 7 », l’Ardèche devenue elle-même son propre canal d’information et de culture. Je ne sais plus qui dans le vacarme et la confusion, fit la proposition, je soupçonne Régis Duchamp, toujours si discret, si fin et si précis, mais je ne puis l’assurer. Ce que je puis assurer c’est que, comme pour « De Source Sûre » les Dix furent d’accord. Et comme pour De Source Sûre, une fois la solution sur la table chacun (cela se passait au Centre de la rue Seibel à Aubenas) chacun repartit vite à son boulot. Pas d’apéro, ni de défilé de la victoire, ni de « Communiqué Officiel ». Disons le : nous étions seuls à savoir que nous existions, nous étions seuls à nous battre avec cette problématique. J’y reviendrai peut-être un jour, mais l’aide de personnalités comme celle, en vain espérée, d’André Griffon, ou d’institutions privées ou publiques, nous aurait été du plus grand secours. Elles ne vinrent malheureusement, ces aides, qu’une fois le train mis sur les rails. Dans le même temps, notre isolement nous protégea des traditionnels « blocages » des spécialistes, tels ceux évoqués ci-dessus.

Le fait est que nous avancions à pas menus mais c’est la logique de toute entreprise humaine, quand tout est à inventer, et d’abord soi-même, dans un contexte nouveau et dérangeant.

A suivre…