Le mas du Barret

Les mots du Barret (1) « Parien » et pas grand-chose (par Michel Jolland)

casserole pépéLe mot « mas » apparaît en Dauphiné dans de nombreux actes notariaux du 19e siècle et du début du 20e lorsqu’il s’agit d’indiquer où se situe une maison, un terrain agricole ou une parcelle boisée. Ainsi employé, il désigne un hameau rural. Le mas du Barret, c’est tout bonnement le hameau du Barret, à Saint-Vérand (Isère) en l’occurrence. Dans la période qui va de 1950 à 1980, on pouvait encore y entendre des expressions ou des mots pittoresques, révélateurs d’un mode de pensée ou d’un mode vie, et bien sûr témoins d’une époque. Ces expressions et ces mots étaient parfois limités au cercle familial gravitant autour d’une seule maison. Ils étaient dits mais jamais écrits, L’orthographe proposée ici est une simple illustration phonétique.

Parien

Parien, voilà bien un mot typique du parler ancien de Saint-Vérand. Que de fois l’avons-nous entendu au Barret ! D’origine latine, rien (REN / REM, accusatif de RES / REI génitif ) a d’abord le sens vague et général dévolu aujourd’hui au mot chose. On trouve « une rien « pour « une chose « (11e siècle). Les linguistes expliquent que l’expression « ce n’est pas rien, » c’est-à-dire « ce n’est pas (quelque) chose » ou « c’est nulle chose » aurait au fil des temps perdu sa négation pour devenir « c’est pas rien » puis « c’est parien » avec le sens de « c’est nul ». Quelques exemples. On dit d’un individu jugé peu recommandable « celui-là, il est parien ! » ou, pire, « c’est le restant de parien ! ». Un enfant veut ramasser un objet qui traîne sur le sol ? Un péremptoire « laisse ça, c’est parien ! » interrompt son geste. Vous voulez discréditer un groupe social, démolir un argumentaire, déconsidérer un évènement, dévaloriser une marchandise ? L’expression « tout ça, c’est parien  ! »  vous fournit un raccourci catégorique et éloquent ! Finalement ce parien s’adapte à bien des situations !

Décevable (dessevable)

Nous avons souvent entendu dire au Barret que tel ou tel enfant était décevable. Jugement plus ou moins critique qui, autant qu’il nous en souvienne, signifiait que l’enfant en question n’avait pas forcément eu la conduite qu’on attendait de lui. Volontairement ou non, il n’avait pas fait ce qui était prévu ou ce qu’un enfant plus obéissant, plus dégourdi ou mieux avisé aurait logiquement et spontanément fait dans une circonstance identique. D’ailleurs, alors que le prestigieux dictionnaire Littré attribue à l’adjectif décevable le sens de « facile à décevoir, sujet à être déçu » d’autres ouvrages, rappellent qu’en ancien français (du 10 e au 15e siècles) il voulait d’abord dire « trompeur, décevant ». Certains habitants du Barret dans les années 1950-1980 utilisaient spontanément le mot décevable – à l’égard de jeunes garnements inoffensifs mais parfois décourageants – et pourtant ce mot n’appartenait pas au langage « de l’école » ni à celui « de la ville ». Il est  hautement probable qu’ils l’avaient entendu plutôt que lu, il devait donc exister dans le parler local, au moins au sein du cercle familial. Très souvent, pour ne pas dire toujours, décevable était intégré dans une phrase en patois (que te sià don dessevable !). Deux observations à ce propos. La première relève de l’évidence : notre patois conserve des mots d’ancien français aujourd’hui disparus. La deuxième est plus surprenante. Alors que ces mots ont un sens précis dans la langue littéraire ou dans des emplois spécifiques, ils apparaissent avec un autre sens dans l’usage courant et populaire qu’en fait le patois. Au mas du Barret, en tout cas tel que nous l’avons rencontré dans les années 1950-1980, le mot décevable voulait dire « sot, désobéissant, décevant » mais les dictionnaires ont sanctifié le sens de « facile à décevoir » dans un usage littéraire, et celui de « sujet à ne pas être suivi d’effet » en langage juridique.

Ganitelle

Mot rare, à notre connaissance utilisé par une seule famille du Barret, ganitelle désignait une vieille casserole cabossée ou qui « perdait son émail » suite à un choc. On l’utilisait pour donner à manger ou à boire aux petits animaux, « remplir la ganitelle des poules » étant habituellement une tache dévolue aux enfants ou aux aînés de la maison. Le mot pouvait désigner n’importe quel récipient dans un moment d’agacement, comme en témoigne cette injonction nécessairement accompagnée de l’intonation et de la gestuelle appropriées :   « Enlève donc cette ganitelle du milieu ! ». Serait-ce une déformation du mot « gamelle » ou un emprunt à d’autres parlers locaux qui utilisent « ganivelle » pour désigner une chose de peu de valeur ? Ce mot « ganivelle » serait, nous disent les linguistes, issu du mot francique KNIF qui signifie petit couteau et d’où proviennent, entre autres, le mot français « canif » et le mot anglais « knife ». Ce mot francique aboutit à « ganivet » avec le sens de «canif » en ancien français (12e siècle), puis il en arrive à désigner un couteau sans valeur. Enfin « ganiveau », l’un de ses dérivés, prend le sens de personne sans importance et, dans les dialectes du Berry, une ganivelle est une chose sans valeur. Faut-il aller chercher aussi loin l’explication de ce mot ganitelle que peut-être jamais personne n’a utilisé ni même entendu ailleurs qu’au Barret ? Pourquoi pas. Le parler local est un parler vivant et, autrefois comme aujourd’hui on n’hésitait pas, en cas de besoin, à façonner des mots nouveaux à partir de mots venus d’ailleurs cueillis au hasard des échanges.

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  1. Pingback: Au Barret, le jardin de mon enfance – Le mas du Barret

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