Le mas du Barret

LES ARTISTES NE MEURENT PAS (par Jacques Roux)

Anniversaire

Ce 9 janvier 2016 est le 50ème anniversaire du décès subit de Duilio Donzelli, survenu à 9 heures du matin à son domicile, 20 allée de l’Epervière à Valence (Drôme). Duilio Donzelli était âgé de 84 ans. Jusqu’à son dernier jour il est resté actif. L’homme, généreux, ouvert, tendre laissait un grand vide et beaucoup de chagrin. L’artiste laissait quant à lui un nombre incalculable de sculptures, peintures, dessins, mosaïques, œuvres parfois de grande envergure (comme des monuments aux morts) ou des bibelots. Jusqu’ici la qualité de son travail, la richesse de son inspiration, sa puissance créative tout simplement, ont été sous évaluées. Comme pour son fils Dante : tout reste à faire. Il est temps de s’intéresser à leur œuvre sérieusement.

Le souffle de Duilio et Dante Donzelli hante toujours leurs « Grand Voyage » à Romans et Boucieu

On notera pour mémoire – mais cela paraît déjà si loin et si dérisoire – qu’on crut jusqu’à ces derniers mois à Romans (Drôme) que le Grand Voyage, ce chemin de croix créé au XVI° siècle, avait été réhabilité en 1942 par Dante Donzelli. Dante Donzelli, né en Italie, installé dans la Meuse, réfugié à Valence en 1940. Nous avons fait litière de cette erreur (cf. la page Facebook consacrée à Duilio Donzelli) : l’auteur des panneaux installés en 1942 était le père de Dante, Duilio. Tous les deux peintres et sculpteurs, tous les deux réfugiés à Valence. Mais tous les deux auteurs d’un Grand Voyage car, s’il n’a pas signé les œuvres de Romans, Dante est bien le créateur des panneaux qui ont été installés à Boucieu, en Ardèche, dans les années 1966/1967, avec un prolongement en 1991 puis en 1995.

Anniversaires

L’année qui commence, 2016, se trouve donc marquer un double anniversaire. D’abord le décès de Duilio Donzelli, le 9 janvier 1966 dans sa maison allée de l’Epervière, à Valence. Et la création du Grand Voyage de Boucieu par Dante. Comme si, chez les Donzelli, le fil de la création ne devait jamais se rompre. Les 50 ans qui nous séparent de ces deux événements peuvent paraître une éternité. Pourtant, la présence des deux Donzelli, père et fils, n’a jamais été aussi manifeste dans la région valentinoise. Et si Romans célèbre la nouvelle restauration de « son » Grand Voyage, celui dû au ciseau de Duilio, Boucieu organisera de même cette année une manifestation autour du « sien », dû au ciseau de Dante. La revue Etudes drômoises vient de publier un article sur Duilio et annonce un prochain article sur Dante (1). Enfin, un livre paraîtra cette année sur la période meusienne de ces deux artistes.

Filiation

Il n’est pas inutile de s’attarder sur cet ouvrage : on trouve dans les coulisses de sa réalisation le propre fils de Dante, M. François Donzelli, sa fille Marie et son fils Xavier, donc les petits enfants de Dante, les arrières petits enfants de Duilio. Marie est une graphiste de talent dont on peut apprécier la qualité du travail dans nombre d’ouvrages d’art dont elle a réalisé la maquette, elle est aussi dessinateur, auteur (2). Xavier est journaliste et travaille à la rédaction de la revue Historia. Il y signe une chronique documentée et impertinente sur la chanson. Pour mémoire rappelons que François Donzelli compte aussi, parmi ses enfants, une certaine Valérie Donzelli dont la dernière mise en scène (Marguerite et Julien) vient d’enchanter les cinéphiles et qui a signé sa première exposition de photographies à la fin de l’année 2015. Nous le constatons encore, le fil ne s’est pas brisé : cinquante après la disparition brutale de Duilio, le nom des « Donzelli » brille toujours dans le ciel des arts et de la création.

Le Grand Voyage de Romans-sur –Isère

Ce Chemin de croix trouve son origine au XVI° siècle. La décision de le réhabiliter fut prise en 1940. Comment Duilio Donzelli réfugié à Valence cette même année fut-il choisi, parmi les nombreux artistes locaux, pour effectuer le travail ? Les historiens régionaux devraient s’intéresser à cette question : on peut supposer qu’il disposait d’appuis dans la sphère ecclésiastique, suite à ses travaux dans la Meuse. Grâce aux documents photographiques fournis par son petit-fils Roberto Campanaro tout le monde aujourd’hui sait que Duilio a conçu et réalisé ses panneaux dans le jardin de sa propriété, allée de l’Epervière à Valence. Le parti pris esthétique est de rester fidèle à une tradition de représentation visible dans la plupart des églises de France. Il s’agit d’offrir une image facilement interprétable par le croyant, même sans la lecture des indications portées sur le bas du panneau. On doit pouvoir se dire : c’est la Cène, c’est la première chute… En même temps, la culture de Duilio Donzelli lui permet de se situer dans l’héritage des peintures de la Renaissance : décors architecturés à l’arrière-plan, effets de perspective, mise en avant des personnages clefs et capacité à donner le sentiment de voir des foules s’agiter autour d’eux. Il sait jouer des drapés des vêtements, il sait doter chaque visage d’une expression propre à la fois à le particulariser et à nous faire partager les sensations ou sentiments éprouvés. Chaque station est pour le sculpteur l’occasion de décrire plusieurs petites saynètes qui donnent de la chair et du sens à ce que vit au premier plan le Christ, tout en rendant perceptible la distance qui sépare le Fils de Dieu de l’humain ordinaire. Ce que vit le Jésus de Duilio nous fait penser à l’Enfer de Dante : il lui faut traverser les pires épreuves, bousculé et comme happé par une cohue dans laquelle nous discernons ses bourreaux, la populace mesquine et cruelle et aussi, isolés, ceux qui lui témoignent respect et amour. Duilio Donzelli, dont la destinée fut bouleversée par les guerres, l’exil, qui fut condamné à vivre en « étranger », partout et tout au long de sa carrière, a pu traduire à travers le supplice de Jésus quelque chose de sa propre existence. C’est sans doute ce qui donne à ses panneaux leur densité, leur puissance d’expression. A les contempler on se retrouve contemporain de la passion du Christ. Plus que témoin : impliqué.

1 Duilio Valence2 Duilio La Cène

Le Grand Voyage de Boucieu-le-Roi en Ardèche

En 1966, l’année du décès de Duilio, Dante reçoit commande, par la Confrérie des Sœurs du Saint Sacrement, d’une réhabilitation du Grand Voyage initié au XVII° siècle par Pierre Vigne. Lequel était persuadé qu’il existait une vraie ressemblance entre les lieux saints de Jérusalem et le paysage de Boucieu. Mystique mais capable de s’impliquer dans les tâches les plus physiques Pierre Vigne, qui fut béatifié par Jean-Paul II en 2004, parsema les alentours du village de stations qu’il commente lui-même dans un texte nourri de foi et de poésie. Ainsi parle-t-il d’une pierre qui laisse apparaître « les traces des pieds du Christ », traces auxquelles Dante Donzelli fera un sort… Le Grand Voyage de Pierre Vigne cerne le village, traverse la rivière, se perd dans les bois, offrant ainsi aux croyants et aux curieux l’occasion de se livrer à une quête ludique et recueillie en même temps : la vérité ne s’offre pas, il faut la chercher.

Selon François Donzelli, son père avait reçu la commande de 35 panneaux. Nous n’en avons trouvé que 27. Sans doute n’avons-nous pas assez « cherché ». Il n’empêche : les panneaux que nous avons vus font oublier les six manquants. La manière de Dante ici est très éloignée de celle de son père : chaque scène se présente comme une sorte d’épure, concentrant le message en quelques lignes, quelques figures symboliques, dépouillées de tous artifices. Très étrangement, trois siècles plus tard, Dante Donzelli vient se caler dans le droit fil du discours mystique de Pierre Vigne, offrant à la contemplation (et à la prière pour ceux qui le désirent) un dessin tranchant comme le Verbe auquel il renvoie, d’une lumineuse pureté et chargé d’émotion pourtant. Les panneaux de Dante Donzelli rendent quasi obsolète le vieux débat sur la légitimité de l’image quand il s’agit d’évoquer le divin : ce qu’il montre est de l’ordre de l’esprit, il nous donne à voir « la Parole ».

Deux panneaux sont datés de 1991 et 1995. La vulgate locale voudrait que ces panneaux aient été gravés par un élève de Dante. Hypothèse vigoureusement contestée par son fils. A juste titre. Si le style de Dante Donzelli a quelque peu bougé (en 30 ans, il va de soi !) l’esprit est resté le même. Les deux panneaux d’ailleurs sont signés et nous avons eu copie du courrier envoyé à la Mère supérieure de la Confrérie lors de la finalisation de la commande. Le Grand Voyage de Boucieu-le-Roi est donc bien de Dante Donzelli. Et il serait bienvenu qu’à Boucieu comme dans le département et à la Région on ne l’oublie pas.

De fait, si l’on évoque volontiers le « Grand Voyage de Pierre Vigne », ce qui est légitime, on oublie systématiquement de préciser que les panneaux visibles sont dus à la main de Dante Donzelli. Ce qui est injuste.

3 Dante Saint Mihiel4 Dante Eucharistie

Crédits photographiques  : clichés 1 et 2 Fonds Roberto Campanaro , cliché 3 fourni par les Sœurs du Saint-Sacrement (Boucieu-le-Roi) , cliché 4 Jacques Roux (Cliquer sur les photographies pour les agrandir)

Notes

(1 )Le dernier numéro de la revue « Etudes drômoises » (numéro 64 de décembre 2015) consacre un article de 4 pages à la carrière de Duilio Donzelli. On trouve cet article aux pages 34, 35, 36 et 37 de la revue, sous la signature de M. Bernard-Marie Despesse. L’auteur annonce une deuxième livraison consacrée à Dante Donzelli.

(2)  Adresse du site de Mme Marie Donzelli :

http://mariedonzelli.com/