Par Michel Jolland
« La grande histoire se nourrit de la petite », ainsi Maxime Nallé commente-t-il une contribution exceptionnelle de Magali Teyzier au dossier Münzenberg. Celle-ci nous rapporte un récit recueilli auprès de Marie-Thérèse, nièce d’Augusta Mandier qui fut le témoin auditif de la présence de plusieurs allemands à Montagne. Des Allemands qui pourraient être Münzenberg et… quelques comparses. On se souvient que le corps de Münzenberg fut retrouvé à Montagne en octobre 1940 et que certains témoignages indiquent que des « visiteurs étrangers » auraient négocié l’achat d’une voiture dans un café du village, le café Gobertier, en juin de la même année. Le récit de madame Mandier semble recouper ces deux informations. Entre juin et octobre un corps a le temps de se décomposer et Magali Teyzier observe avec pertinence que « les Allemands » seraient arrivés à Montagne « par le bon côté » si, effectivement, ils étaient passés au café Gobertier. Suite à l’échec de l’achat il pourrait y avoir eu désaccord. Ou, si l’on admet l’hypothèse, jusqu’ici conventionnelle, que Münzenberg a été « éliminé » sur commande, on peut admettre que ses comparses étaient ses assassins potentiels. La voiture aurait-elle dû servir à « livrer » Münzenberg quelque part et l’achat raté aurait-il précipité l’assassinat ? Autant de questions susceptibles d’enrichir la liste déjà longue, et sans doute loin d’être close, des supputations sur les tenants et les aboutissants des événements de juin 1940 à Montagne. Dans l’immédiat, mon collaborateur et ami Maxime Nallé, qui se passionne pour le dossier Münzenberg, a estimé le témoignage de madame Mandier d’autant plus intéressant qu’il livre à l’histoire un souvenir anodin, un détail, qui peut se révéler capital. Et il a souhaité expliquer pourquoi.
Commentaire introductif de Maxime Nallé
La grande histoire se nourrit de la petite, nous en doutons d’autant moins qu’au siècle dernier nombre d’historiens, tel Braudel, inscrivirent leurs recherches dans la « longue durée », s’attardant moins sur les hauts faits et les grands personnages que sur la vie quotidienne des populations, l’évolution des mœurs, des conditions matérielles de vie, avec les incidences climatiques et celles qui, par le biais des diplomaties ou des idéologies, provoquèrent certains des séismes parmi les plus violents qu’ait connu l’humanité. La naissance à Montagne, petit village isérois, de « l’association européenne Münzenberg » s’inscrit dans ce registre : il s’agit moins pour ses promoteurs de se faire les hagiographes d’une figure mystique, dont le fier combat contre ces deux figures antithétiques du Mal qu’étaient Staline et Hitler feraient un Chevalier blanc, que de reconstruire à partir du lieu où l’on retrouva son cadavre le parcours d’un intellectuel qui, dans les soubresauts d’une époque agitée, s’impliqua dans la mêlée, non sans être amené à se contredire lui-même et à transformer en arme positive ce qu’il inventa d’abord pour le service du communisme d’État, la propagande. L’histoire de Münzenberg condense, durant le court laps de temps que dura sa vie, tous les enjeux, toutes les contradictions, toutes les horreurs d’un temps où les bourreaux se présentèrent d’abord comme des anges salvateurs.
L’association européenne Münzenberg, que nous avons évoquée dans la publication municipale de Montagne, essaie de renseigner au mieux la connaissance de cet individu que beaucoup aujourd’hui, en Allemagne particulièrement, mais aussi en Europe, voudraient mettre au service de leur propre cause. Car il y a mieux à faire avec ce personnage : il est un des acteurs d’une époque dont nous avons hérité les outrances et les risques : éclairer ses choix, ses prises de conscience, ses engagements ou renoncements ne peut que nous aider à enrichir l’Histoire du passé, et nous éviter peut-être de commettre certaines erreurs, ou pour le moins nous aiderait à comprendre celles que nous commettons.
Il y aurait donc, puisque il est encore temps de profiter de l’existence de personnes qui, à défaut d’avoir connu, ou côtoyé, Münzenberg vivant, peuvent avoir connu ou côtoyé certains qui, eux, purent être des témoins. Il y a, en Allemagne et en France, et en bien des endroits de la Planète, des informations qui dorment. Chacune en soi peut n’être qu’une broutille, reliée à d’autres, utilisée, réinterprétée, dans un ensemble de données, elle peut se révéler d’une importance capitale.
Michel Jolland, responsable du Mas du Barret, est aussi président de cette « association européenne Münzenberg ». Depuis bientôt dix ans il explore le terrain, concret, rencontre et interroge ceux qui potentiellement, ont pu « savoir » ou « percevoir » quelque chose. Il a épluché les rapports et documents disponibles, et il n’en a pas fini avec cette tâche peu gratifiante mais nécessaire. Aujourd’hui, il met sur la table un récit à lui rapporté par Magali Teyzier, secrétaire de l’association sus-évoquée, un récit obtenu parce qu’elle aussi a compris qu’il fallait sans relâche s’ouvrir à de potentielles trouvailles. A priori il s’agit « d’une broutille », une nièce revient sur les souvenirs d’une tante disparue, le témoignage est non visuel, mais… Mais il oblige à faire des rapprochements, il pousse à se poser certaines questions, à élaborer des hypothèses. C’est une toute petite histoire… qui vient jouer dans la cour de la grande.
Et l’on se dit, à la lire, qu’elle n’a pas tort.
Témoignage de madame Augusta Mandier (1908-1996), rapporté par sa nièce Marie-Thérèse, recueilli et mis en forme par Magali Teyzier
L’Association Européenne Willi Münzenberg nous invite davantage à communiquer sur nos activités autour de Willi Münzenberg.
Parler de Willi Münzenberg, de son parcours et de sa mort énigmatique réveille ainsi des petits témoignages qui permettent d’apporter des compléments d’informations. C’est le cas de Marie-Thérèse qui souhaite nous rapporter le témoignage de sa tante Augusta Mandier, habitante de la commune de Montagne demeurant au quartier les Belles. Augusta, veuve de guerre à 31 ans, vivait avec sa maman et ses deux jeunes sœurs en 1940.
Augusta Mandier (1908-1996)
Le 22 juin, le maréchal Pétain signait l’armistice avec le Troisième Reich. A Montagne comme ailleurs, l’arrivée des Allemands, « les ennemis », était redoutée. Est-ce le 22 juin ou lors des quelques jours qui ont suivi cet événement ? Les souvenirs sont flous mais il ne fait aucun doute que c’est en juin 1940 qu’Augusta, qui se trouvait à faire ses corvées à l’extérieur de sa maison, entendit des voix graves, des voix masculines. Des hommes qui cheminaient jusqu’au village de Montagne en provenance du quartier de la Tourne au dessus des Belles. Il y avait plusieurs hommes mais évidemment elle ne saura jamais combien précisément. Ce qui est certain c’est que ces hommes parlaient allemand et ne cherchaient pas à être discrets car ils parlaient fort. Avec le vent du sud Augusta avait l’impression qu’ils étaient tout proches. Dans le contexte historique du moment, Augusta Mandier fut alors prise de panique… les Allemands arrivaient déjà dans son village et une maison occupée par des femmes seules lui fit vraiment redouter le pire. Elle se réfugia dans sa maison et y resta enfermée avec sa mère et ses sœurs de longues heures. Un temps incommensurable quand la peur dicte les actions.
Mais au grand soulagement de la maisonnée, les Allemands entendus en ce mois de juin ne furent que de passage. Pas d’invasion à déplorer pour ce petit village rural reculé.
Bien entendu, lorsque le corps de « l’Allemand » fut découvert en octobre au bois du Cognet et que les habitants apprirent qu’il s’y trouvait depuis le mois de juin, Augusta a fait le rapprochement avec les fameuses voix entendues à cette date. Hélas, il ne s’agit là que de suppositions et la mort de Willi Münzenberg reste encore aujourd’hui une énigme.
Ce qui est intéressant dans ce témoignage, à supposer que ces Allemands correspondent à Willi Münzenberg et ses compagnons, c’est la direction par laquelle ils arrivent au village de Montagne. Leur arrivée par le lieu dit la Tourne expliquerait tout à fait pourquoi ils se seraient arrêtés au café Gobertier qui est le premier café en arrivant par le sud du bourg. S’ils étaient arrivés par le nord, ils auraient plus certainement choisi de faire leur halte au café Larra ou au café Buisson ?
On peut aussi supposer qu’ils auraient pu quitter le cortège entre Roybon et Margès et traverser les collines pour retomber sur la commune de Montmiral et arriver par la Tourne à Montagne ?
Pour conclure avec ce témoignage, notons qu’Augusta Mandier et Willi Münzenberg, sont enterrés côte à côte au cimetière de Montagne. D’ailleurs, la nièce Marie-Thérèse, se souvient que, petite, elle avait du mal à lire le nom de Münzenberg aussi demandait-elle « pourquoi ce nom étrange ? », on lui répondait simplement que la personne était allemande sans jamais fournir plus de détails comme pour protéger ses jeunes oreilles de cette histoire. Plus tard, lorsque sa tante évoquait ses souvenirs, elle comprit que cette mort était bien mystérieuse ce qui expliquait que le sujet était rarement abordé.
Notes
Toutes les illustrations photographiques proviennent de la photothèque de Magali Teyzier. Droits réservés.