Le mas du Barret

Éloge de la romance de Noël et des bons sentiments (partie 3)

Par Jacques Roux

L’art et la manière : les « scènes obligées »

Le baiser

Peut-être sont-elles plus apparentes que dans les autres films, mais les « scènes obligées » des romances (qu’elles soient ou non de Noël) sont très facilement repérables. La trame est de toute façon simple et, quels que soient les aléas du parcours, la scène finale sera invariablement – sinon ce serait une déception, comme si dans un quelconque polar le générique de fin arrivait au moment où les enquêteurs reconnaissaient face au public que, décidément, « ils n’y comprennent rien et ne savent pas, mais alors pas du tout, qui peut bien être coupable » – un baiser. Le baiser c’est, dans le contexte d’une romance, la confirmation du couple dont on a assisté à la naissance, la promesse d’une existence à deux, heureuse. Dans les romances made in USA, pas de scènes de lit, ou alors délicatement suggérées mais c’est exceptionnel. Le baiser seul manifeste à la fois le lien affectif, le sentiment amour, et l’attirance physique. Quand l’affaire est bien menée, avec certains rebondissements que nous allons voir, le baiser final est aussi le « premier » baiser échangé par les deux héros. Je précise – en tout cas jusqu’en 2021 – que le couple vedette, celui autour duquel se construit le film, est hétérosexuel. Les choses changent, selon le Huffington Post (23/12/2020) : « Il n’y a jamais eu autant de personnages LGTB dans les films de Noël ». Mais l’article, qui cite entre autres un film avec Kristen Stewart, donc jouant dans une autre catégorie que nos téléfilms, est plus modeste que son titre. Car, s’il arrive qu’un couple homo, plus souvent deux mâles que deux lesbiennes d’ailleurs, fasse partie des proches des personnages principaux, il est très rare qu’un couple gay joue un rôle central. Le Huffington évoque bien « un » film de ce type mais il semble n’avoir pas été diffusé en France. Par contre la relation entre blancs et noirs occupe régulièrement la scène. La population noire est la plupart du temps bien représentée : l’ami ou l’amie d’un des héros est souvent « black », très souvent aussi les patrons, les chefs de service (pas de discrimination sociale) et, tout au long du film, on croise des personnes noires à tous les échelons de la société sans que le film surligne la situation, la chose vient naturellement. Cependant, la plupart du temps, les histoires d’amour se passent entre personnes de même couleur. Il s’agit généralement de la blanche, mais il arrive que les deux personnages principaux soient noirs. Le couple mixte existe, mais reconnaissons-le, il est plutôt rare. C’est le cas dans « Coup de foudre au bal de Noël » (2019) où la très belle Jessica Lowndes succombe au charme du non moins beau BJ Britt.

Revenons au baiser : si le baiser final est aussi le premier cela n’empêche pas que certaines tentatives aient déjà eu lieu, des approches à la fois timides et irrésistibles qui, hélas, ne peuvent aller à terme parce que des parasites interviennent : parents, amis, importuns quelconques, sinon un appel intempestif (mais que l’appelé « doit prendre » !) du portable ou, pire que tout, la prise de conscience de l’un des deux : « non, je ne peux pas », ce que l’autre souvent, même marri à l’extrême, approuve gentiment : « je comprends très bien »…

La rencontre

Il faut dire que souvent, quand il n’est pas tout bonnement en train de préparer son mariage, l’un des deux protagonistes a déjà un partenaire au début du film. D’où une possible crise de conscience morale ! Le public éclairé, néanmoins, comprend vite, dès la première apparition, que, non « ça ne va pas le faire » : ce n’est pas « le bon », ce n’est pas la « bonne ». La personne élue – à venir – se repère d’emblée. Ne serait qu’à cause des conditions de la rencontre ; car la rencontre est un des moments-clés de l’histoire, qu’il convient d’apprécier à sa juste valeur. Le choc – au drugstore, entre autres, au moment où l’on vient de commander son café servi dans un mug géant – fait partie des classiques (robes et costumes tachés, ça commence mal). Dans « Le père Noël d’à côté », la gentille héroïne heurte un joli jeune homme aussi pressé qu’elle : elle court à un rendez-vous pour un emploi, il est journaliste et son employeur attend l’article. Il voit le prénom de la jeune fille (Ashley) sur un document qu’il ramasse pour elle : son cœur fait clic ! Elle ne voit pas que son téléphone a glissé. A peine s’est-elle éloignée qu’il sonne : le garçon le récupère… Et clac ! Il ne reste plus qu’à se demander quand et comment les deux oiseaux vont se retrouver (le téléphone va servir à cela, vous aviez compris).

Agacements et petites colères

Il n’est pas toujours nécessaire de se cogner physiquement. Les premiers échanges peuvent être houleux pour « incompatibilité ». Dans « Prête-moi ta main à Noël » le gars se trouve dans la file d’attente au drug-store attendant son café. Il se trouve juste derrière une jeune femme dont les exigences (mélange de café, de lait de soja et autres ingrédients mais « sans crème ») perturbent la petite serveuse qui ne comprend rien, ce qui entraîne un prolongement pour tous du temps d’attente. Agacement du garçon, verte réplique de la demoiselle. Pas de chance : ils étaient ici parce qu’une connaissance commune se proposait de les associer dans un projet. « Ah non ! » S’exclament-ils en chœur. Mais le destin, n’est-ce pas, joue sa carte indépendamment des humeurs momentanées d’individus qu’il a décidé d’unir indissolublement.

Pareilles incompatibilités peuvent être installées bien avant le début du film, les deux (futurs) partenaires ayant pu s’éviter jusqu’au moment où ils se trouvent obligés de collaborer. Dans « Coup de foudre chez le père Noël », deux journalistes, l’une brillante, ordonnée, férue d’une documentation rigoureuse, l’autre brouillon, fantasque, mais improvisateur talentueux, se voient confier par leur rédactrice en chef une mission commune qui les obligera, à la suite d’incidents eux aussi récurrents dans ce type de films (tempête de neige bloquant les aéroports et obligeant de trouver un abri de fortune) à vivre l’un près de l’autre les fêtes de Noël. Dans « Un baby-sitting pour deux » » les deux jeunes gens se détestent depuis l’Université mais se voient confier pendant une semaine la garde en commun des deux enfants d’un couple d’amis. Les étincelles des premiers moments se transformeront au fil des jours en flamme amoureuse. Sur le même thème (mais plus tragique : le couple d’amis s’étant tué en voiture) les deux partenaires obligés de « Bébé mode d’emploi » héritent du bébé des disparus (ce film relève de la « romance » en tant que genre, mais tourné pour le cinéma, non pour la télévision).

Les « ex »

L’inimitié initiale peut également trouver sa raison d’être dans un passé commun : les deux héros ont eu une liaison qui s’est mal terminée. Les retrouvailles, parfois provoquées par des raisons professionnelles, parfois parce que l’un des deux est tenu de revenir au pays pour une raison familiale, sont généralement houleuses. Dans « La chasse au trésor de Noël » la jeune femme retrouve son ex petit ami à qui elle reproche, à plusieurs reprises, de l’avoir laissée partir seule à New-York alors qu’il s’était engagé à l’accompagner. Elle apprendra bientôt qu’il avait dû se résigner à rester pour aider son père en grande difficulté et qu’il ne lui avait rien dit pour ne pas la pousser à rester avec lui et ainsi « abandonner ses rêves ». Semblable situation dans « Un Noël à Springdale », la lumineuse Ashley Newbrough retrouve le ténébreux Kristoffer Polaha avec qui elle avait rêvé autrefois de tenter l’aventure littéraire. Sans raison apparente il n’était pas venu à un rendez-vous capital. Aujourd’hui, écrivain célèbre, elle revient signer son dernier livre dans son ancien village. Surprise : c’est son ex qui dirige la librairie !

Elle lui découvre une fillette, mais apprend assez vite qu’il avait dû abandonner leur projet suite au décès accidentel de sa sœur, la maman de la petite fille, et son époux. « Mais je t’avais écrit tout cela » s’étonne-t-il ! Hélas, sa famille déménageait souvent et le courrier ne lui était jamais parvenu. Heureusement, dans les romances, l’amour a toujours une seconde chance. Ainsi dans « La gloire ou l’amour », deux « ex », dont la rupture semble avoir été douloureuse se percutent au café, la jeune fille bousillant la chemise du garçon « Tu as bien fait, je la détestais cette chemise ! » la rassure-t-il. Une façon de masquer la double gêne de la maladresse et de retrouvailles inattendues.

Pour semblant

Autre artifice scénaristique décliné sous toutes les formes : une fausse liaison. Pour éviter d’être soumis aux manipulations de ses sœurs, désireuses de le remettre dans les bras de leur meilleure amie (et son ex !), un jeune homme invite une de ses voisines – avec qui il a eu, au préalable, quelques mots à cause du bruit qu’elle faisait dans l’appartement voisin du sien – à jouer le rôle de sa fiancée le temps du mariage de son frère (« Cherche fiancée pour une semaine »). Deux jeunes gens, chacun pressé par sa famille de se marier enfin (« Le pacte de Noël »), se rencontrent via un site Internet spécialisé et conviennent de jouer le jeu du grand amour pendant la période des fêtes de Noël et fin d’année. L’affaire sera plus compliquée que prévue, d’abord parce qu’une des familles est juive, l’autre chrétienne, ensuite parce que chacun des deux va beaucoup plaire à la famille de l’autre. Sans compter qu’évidemment l’amour a brouillé les cartes, le « pour semblant » n’ayant duré qu’un temps. Une semblable configuration mais adaptée à un couple plus mature fait s’associer une femme divorcée qui veut se protéger de son ex mari qui lui impose, dans l’entreprise dont ils sont tous deux gérants, sa nouvelle petite amie, et un homme qui, pour obtenir le poste qu’il convoite, doit convaincre son patron, obsédé par l’idée de famille, qu’il vit en couple (« La promesse de Noël »). Réunissant la thématique « couple d’abord farouchement opposé » et celui du faux fiancé, « La proposition de Noël » conduit la sœur d’un jeune écrivain fauché à lui faire signer un contrat avec sa meilleure amie (à elle) qui le déteste, pour jouer son fiancé le temps de Noël. Originaire de Louisiane, la jeune fille devrait en effet subir la présence de son ex fiancé, de nouveau en couple, parce qu’il est un ami proche de ses parents. Des scènes d’une drôlerie délicieuse se couplent à une promenade enchanteresse en Louisiane, la proximité amenant peu à peu les deux signataires à dépasser les termes de leur contrat. Outre la possibilité de montrer l’évolution du sentiment amoureux (passant de l’opposition franche à la découverte de la vraie personnalité de l’autre, avant de sentir naître un réel attachement), cette thématique offre l’occasion de scènes souvent amusantes sinon franchement comiques. Dans « Un rôle sur mesure pour Noël », un jeune comédien est embauché par une jeune styliste qui vient d’être plaquée par son fiancé, alors que toute la famille attend les fêtes de Noël pour faire la connaissance de son brillant architecte de promis. Les quiproquos s’enchaînent, les potentiels futurs beau-père et beau-frère cherchant à profiter de l’expertise d’un « architecte »… qui ne s’y connaît qu’en pièce de théâtre. 

Mais où ai-je la tête ?

On comprend facilement que, pour ce type de réalisations, peu importent les rouages à partir desquels on construit le récit. Le même item peut être décliné à l’infini, il prendra chaque fois une couleur particulière, tous les paramètres sont susceptibles de bouger et on sent comme une jubilation, chez les scénaristes, à déplacer le lieu commun, répétitif et qui pourrait devenir lassant, vers une interprétation inattendue, déconcertante, à laquelle les comédiens donnent chair avec l’aisance que nous avons soulignée et l’apparence bluffante de la plus vive spontanéité. Un des ressorts scénaristique classique, bien qu’il s’agisse à l’évidence d’un fait en soi exceptionnel, est la chute sur la tête, ou l’accident d’automobile, qui laissent l’héroïne (le plus souvent) sans mémoire. Ou avec une mémoire altérée. Comme Ashley Greene qui (dans « La fiancée de Noël »), glissant sur une plaque de verglas et relevée, étrange hasard, par un père Noël, est persuadée qu’elle a rendez-vous pour se marier avec Andrew Walker, un des acteurs les plus connus de ce type de films.

Sauf qu’elle a rompu avec lui il y a deux ans et qu’elle se préparait à en épouser un autre. Les raisons mystérieuses de la rupture vont nourrir la trame du film et quand tout sera tiré au clair, la mémoire revenue, tous les problèmes seront réglés et l’amour pourra triompher. Dans « Un Noël mémorable », Mira Sorvino (qui joua pour Woody Allen, et fut la « madame Noël » qu’on recherchait à Las Vegas dans un film que j’ai évoqué), a un accident sur la route d’Aspen. Recueillie de nuit par un charmant vétérinaire, veuf et avec trois enfants, elle ne sait plus qui elle est, sur le plan de l’état-civil, mais très vite, loin du milieu artificiel qu’elle fréquentait, redécouvre qui elle est « au fond ». Son amnésie temporaire favorisera plus qu’elle n’empêchera sa vie de prendre un nouveau départ. Même cas de figure dans « Romance d’Automne » où Julie Gonzalo qui joue une romancière épuisée par les à côté médiatiques de sa carrière, perd le contrôle de sa voiture dans les fabuleux paysages du Vermont et du coup perd aussi la mémoire. Cette fois, c’est un médecin (veuf avec deux enfants !) qui la récupère, la soigne et l’héberge. La proximité des points de départ pourrait faire penser à du plagiat, sauf qu’en ce domaine le plagiat n’existe pas. Il faut se convaincre qu’il existe une sorte de banque de données dans laquelle chacun pioche à volonté : à l’auteur de faire de cette pitance commune un plat qui n’appartient qu’à lui. On peut voir les deux films à la suite l’un de l’autre : ils n’ont en commun que la trame.

Variations, improvisation, appropriations

Le critique qui a motivé notre réflexion(Cédric Melon) n’a peut-être pas compris que dans le champ artistique rien n’appartient fondamentalement à un peintre, un musicien, un sculpteur, un architecte. Il existe des répertoires de thèmes et de formes, modulés, enrichis, bousculés à l’occasion, par l’histoire, les sociétés, et c’est à chaque créateur, en son temps et avec les contraintes et outils de son temps et sa société, de faire sa propre cuisine. Aujourd’hui, certes (est-ce une des composantes du capitalisme ? Touche-pas à ma thématique !), l’avocat est tout de suite derrière la porte, une image, un son, un visage peuvent déclencher une procédure, mais il n’y a pas si longtemps les plus grands compositeurs n’hésitaient jamais à prendre un thème susceptible d’éveiller leur inspiration chez un confrère. La Fontaine n’a pas « pompé » Esope, mais il a consciencieusement exploité ses inventions, on pourrait dire autant de nos « grands auteurs » (Racine Corneille, Molière…) du XVIIème siècle. La « manière » d’un auteur n’appartient qu’à lui. Ce qui importe c’est ce que l’artiste fait du matériau de départ. Une femme nue sur un lit n’est qu’elle-même, peinte par Velasquez, Titien, Modigliani… elle devient un Velasquez, un Titien, un Modigliani. Ses amis paraît-il planquaient leurs toiles en cours quand Picasso leur rendait visite car le Minotaure dévorait toutes ces fraîches créatures et les incorporait à son œuvre. Vraie ou fausse l’anecdote est significative : Picasso faisait du Picasso, avec n’importe quoi : même un guidon de vélo était susceptible de devenir une « chèvre de Picasso »… Il en est ainsi, toutes proportions gardées, avec les romances de Noël. Chez certaines, les petits ingrédients qui traînent sur toutes les tables parviennent, grâce à l’habileté des scénaristes, l’élégance et la maîtrise de la mise en scène, la subtilité, le naturel, l’abattage des comédiens, à devenir des plats de haute cuisine, dignes d’entrer de plain pied dans le trésor de notre imaginaire. Comme y entrèrent les comédies romantiques de Franck Capra, que ces téléfilms plus intelligents qu’on ne croit évoquent souvent !

La « crise »

On pourrait ad libitum évoquer bien d’autres « passages obligés », mais je laisse à nos lecteurs curieux le soin de les recenser eux-mêmes. Je n’en retiendrai qu’un pour finir, qu’avec mon épouse (brillantissime spécialiste de la romance et en l’occurrence mon coach – le « coach » étant un des rôles convenus dans ces films : coach mariage, coach mode, coach danse, etc.) nous avons dénommé la « crise ». Aux deux tiers du film, quand la romance s’installe doucement entre les deux héros, que les premières approches, silences et regards révélateurs, amorces ratées de baisers, semblent mener tout droit vers le bonheur promis, voilà que « quelque chose » arrive. Ce coup de théâtre à la sauce romance peut naître d’un malentendu (l’un des deux a entendu une phrase négative qu’il a interprétée contre lui, alors que ce n’était pas le cas) ou du retour inattendu d’un ou d’une « ex » qui joue son va-tout et fait vaciller le jouvenceau ou la jouvencelle. Parfois aussi il s’agit de l’intervention d’un tiers mal intentionné (la concurrence !) ou d’un parent trop possessif. Bref, le couple soudain entre en terres glacées. Mais leur tourment n’est que le prélude au soulagement qui s’ensuivra quand tous les paramètres négatifs auront volé en éclat et que le baiser final illuminera l’écran. Je demanderais à mes lecteurs réticents et moqueurs de comparer avec les polars du samedi soir : n’y va-t-on pas généralement vers un aboutissement logique de l’enquête ? Ne se produit-il pas soudain un fait nouveau, perturbateur, qui obscurcit tout ? Et la conclusion ne surgit-elle pas, comme on l’espérait, malgré toutes les apories ? Qu’on relise Molière, qu’on s’amuse à voir comment il dénoue ses intrigues en deux coups de cuillère à pot comme on disait dans mon enfance. Relisez vos tragédies préférées chers lecteurs cultivés : dans la tragédie, la tragédie s’impose au final et parfois de manière si déconcertante (Ah ! Roméo et Juliette !). Pour ceux d’entre nous que la vraie vie désespère un tantinet, le happy-end des romances « dégoulinantes de bons sentiments », je cite M. Melon, sont une source infinie, et si bon marché, de réconfort. Le brave M. Coué, qui fut un coach avant la lettre, opinerait sans aucun doute : il n’y a pas de mal à se faire du bien. Tout au contraire.

(A suivre)