Le mas du Barret

Éloge des romances de Noël et des bons sentiments (Partie 2)

Par Jacques Roux

Noël pris au sérieux

Avant tout il me paraît utile de préciser, ce que je n’ai pas fait assez nettement dans ma première publication, que les « romances de Noël » visées par Cédric Melon, (dans un article paru la semaine de Noël, donc « d’actualité ») ne sont qu’une catégorie d’un genre plus général : les « Romances ». Ils ont la particularité de se situer au moment de Noël et intégrent les éléments caractéristiques de cette période de l’année : l’hiver, la neige, la dimension religieuse et la dimension festive. Sans oublier le père Noël, madame Noël, les lutins et les rennes ! Il convient d’ajouter que la plupart des grands thèmes traités par les romances en général, l’amour bien sûr, mais aussi l’altruisme, le respect des traditions, le sens de la communauté, se trouvent particulièrement mis en valeur à cette époque. Fêter Noël est un événement, à la fois religieux et laïc, qui intègre de multiples activités « traditionnelles » allant des cérémonies religieuses proprement dites aux retrouvailles familiales, avec les cadeaux des enfants, les soirées de gala – en Amérique on semble priser les représentations de Casse-Noisette – et les manifestations de générosité, sans omettre la lecture quasi obligée du « Chant de Noël » (ou « L’étrange Noël de Mr Stooge ») de Charles Dickens. Noël favorise et met en valeur tout autant le lien social que le pivot fondamental de nos sociétés : la famille. Or la famille est un élément clef du genre romance. Ne serait-ce que parce que le couple parental y sert soit de modèle absolu (l’héroïne, le héros, veulent vivre un amour aussi parfait que celui de leurs parents) soit de repoussoir (la mésentente ou le divorce des parents justifie la défiance vis-à-vis de l’amour, le refus de s’engager dans une relation sérieuse). En outre, l’enjeu de la relation amoureuse dont chaque film décrit l’éclosion, complexe mais inéluctable, est de créer ensuite une authentique famille, destinée à résister au temps. On ne marivaude pas dans les « romances », l’amour y est pris au sérieux.

Le fantastique

Et Noël de même ! Non seulement dans sa composante affective, mais aussi en tant qu’événement propice à exciter l’imaginaire. Le père Noël et son entourage permettent de développer des séquences échappant aux contraintes du réalisme. Dans « A la recherche de madame Noël », l’épouse du bonhomme à la barbe blanche, qui se sent délaissée, s’échappe vers Las Vegas. Elle profite de cette fugue en un lieu dédié au jeu et au rêve pour favoriser la naissance d’un jeune couple avant de retrouver l’amour de son compagnon venu (sans sa barbe blanche) la récupérer. Les romances, sans doute parce que l’amour est un sentiment en même temps qu’une attirance physique, échappant donc aux impératifs de la raison, font souvent appel au fantastique. Il n’est pas rare que les morts interviennent dans le déroulement du récit, par le biais d’objets les évoquant qui apparaissent ou disparaissent fort à propos, quand ils ne sont pas protagonistes du récit (comme dans « Coup de foudre au manoir hanté » – titre original : « The spirit of Christmas »). Souvent de mystérieux personnages donnent figure à l’idée abstraite de destinée et imposent aux héros des épreuves dont la plus usitée est la répétition d’un moment ou d’une journée, ainsi dans « De retour vers Noël » ou « Un Noël sans fin » (reprise sans complexe du thème central du film « Un jour sans fin »), jusqu’à ce que le personnage impliqué prenne enfin la juste décision, ou éprouve le sentiment idéal pour la bonne personne. Le père Noël, en tant que tel, avec sa tenue et ses « fonctions » encourage les dérapages irréalistes.

Il lui arrive d’apparaître en prenant (mise en abyme) le masque du père Noël de magasin ou de rue dont chacun sait qu’il n’est pas « le vrai », sauf qu’en l’occurrence si ! L’une des richesses des scenarii proposés dans ces téléfilms d’Outre Atlantique, est qu’ils ne tergiversent jamais quand ils inventent. Le succès de Walt Disney repose d’ailleurs sur ce postulat. Qu’un faon nommé Bambi joue avec un lapin, qu’une souris soit au cœur d’aventures extravagantes, il n’y a là rien qui vaille la peine de s’étonner : ces petites bêtes parlent, pensent et agissent comme vous et moi, elles sont juste un peu plus rigolotes. Je sais : La Fontaine avait préparé le terrain… Dans « L’avant-veille de Noël », le père Noël prépare sa tournée mais, mal conseillé par son chef des elfes, se trompe de jour pour la distribution, s’égare dans l’Univers et se crashe sur le toit d’une maison. A aucun moment la mise en scène ne nous lance un clin d’œil complice (« on blague ! »). Au contraire, les détails de l’événement sont présentés de la façon la plus crédible : le précieux sac de jouets se perd dans un buisson, le père Noël tombe sur la tête et perd la mémoire, l’altimètre qui empêche d’aller trop haut, là où les rennes ne pourraient plus respirer et « tomberaient comme des pierres sur la terre », est fichu ! Nous sommes dans le schéma classique d’un accident ordinaire, avec son caractère hasardeux et ses conséquences dramatiques. A ceci près, qui donne à supposer qu’il n’y avait pas de « hasard » ici, mais une logique cachée, que la maison qui a servi de point d’impact (on nous signale le lieu précis, preuve d’authenticité, à Milwaukee dans le Wisconsin !) abrite une famille au bord de l’implosion, le papa et la maman ne pensent qu’à leur travail, se désintéressent de leurs enfants, et ont oublié qu’ils s’aimaient. Les péripéties qui suivent vont permettre non seulement au père Noël de retrouver sa mémoire et son sac magique, mais aussi aux parents de renouer avec l’amour et à la famille de se recomposer. Certes Cédric Melon jugerait qu’ici il y a dégoulinade de bons sentiments, mais cette dégoulinade nous permet de circuler, comme en regardant un documentaire, dans les coulisses d’une petite ville des Etats-Unis au moment des fêtes et d’y voir à l’œuvre des associations locales d’aide aux démunis, elle trace aussi un portrait assez cru de ces couples dévorés par les exigences de leur emploi. Sans négliger l’humour qui, tout au long du film, accompagne les pérégrinations d’un père Noël qui, ayant oublié qui il est, s’amuse de l’aventure alors qu’autour de lui chacun s’angoisse à la perspective d’une nuit de Noël sans cadeaux pour les petits enfants…

Balle dans le pied

Dans son article, Cédric Melon, afin de dénoncer « la qualité artistique discutable » des téléfilms de Noël, avance un argument de la même tonalité que celui concernant les acteurs – « inconnus », en bout de course », « has been » – auquel nous avons fait un sort la semaine dernière : « Il faut dire que ces téléfilms (sont) tous formatés de la même façon. Fiction après fiction ce sont les mêmes décors et costumes qui sont réutilisés. » La notion de « formatage » associée à la prétendue réutilisation des « décors et costumes » revient à assurer que tous ces films sont en fin de compte toujours le même film. Cédric Melon ne s’y prendrait pas autrement pour dire à ses lecteurs : « faut-il que vous soyez niais pour ne même pas vous en rendre compte ! ». Car il est évident que le lecteur de TéléCableSat fait partie des « 2 millions de téléspectateurs » qui en moyenne regardent ces téléfilms de Noël sur TF1 (l’article signale la concurrence de M6 et Teva mais ne donne aucun chiffre les concernant ; pas la peine : avec « 2 millions » M. Melon tient le chiffre rond qui frappe l’imagination) puisque la diffusion totale de la revue n’était en 2020 que de 473 296 exemplaires par numéro, d’après le site ACPM.

L’art de tirer une balle dans le pied de son propre employeur !

TéléCableSat, le magazine télé des imbéciles heureux… Selon Cédric Melon.

Codes et mécanique

Si nos lecteurs, qui lisent peut-être aussi TéléCableSat, ont vu ne serait-ce que deux de ces téléfilms de Noël, ils savent que M. Melon fabule, ou plutôt fantasme. Il est juste de lui accorder, pour sa défense, qu’il se doit de satisfaire à plusieurs des impératifs pesant sur le chroniqueur d’un magazine grand public : retenir vite l’attention, fournir des données choc, donner l’illusion d’avoir mené une enquête approfondie (les chiffres Coco, c’est bon pour ça !) et donner le sentiment d’écrire en toute indépendance d’esprit tout en raclant les fonds de tiroir des lieux communs les plus éculés. Il y a quelques jours M6 diffusait une « comédie romantique » (c’est le terme en usage, en France) « Je l’aime à mentir ». Nous avons repéré cette déclaration de l’actrice principale, Julie de Bona, au journal 20 Minutes (le 7 septembre 2021) : Question : La comédie romantique se fait rare sur les écrans, pourquoi selon vous ? / Réponse : « Je crois que c’est très dur à écrire ! C’est un travail minutieux sur le timing et la structure du scénario. Dans les comédies romantiques, il y a des codes et il faut trouver des ressorts pour surprendre le spectateur. » On ne peut qu’encourager M. Melon à lire 20 Minutes, ou espérer que Mme de Bona prenne sa place de rédacteur ! Parce qu’en effet le propre des « romances », qu’elles soient de Noël ou de toute autre saison, c’est d’obéir à certains codes qui, d’un côté, les distinguent des autres modes d’expression (qui ont aussi leurs codes, mais l’analyse comparée nous emmènerait trop loin) et d’un autre permettent au public de se sentir en pays de connaissance, quelle que soit la particularité du film, quel que soit le contexte dans lequel se déroule l’action. Sachant que la difficulté, pour le scénario et la mise en scène, des codes de la « comédie romantique » c’est qu’ils sont eux-mêmes gouvernés par une règle impérative : le spectateur ne doit jamais être brutalisé, choqué, agressé. On peut l’émouvoir, jusqu’aux larmes, le faire sourire ou rire à l’occasion, le séduire, l’amener à éprouver pour les personnages une sorte d’empathie, voire s’identifier à eux, mais c’est tout. Pas de secousses, cool ! Le challenge pour les scénaristes et metteurs en scène est donc autrement difficile, et plus délicat, que pour les auteurs du premier polar venu diffusé sur la 3 le samedi soir. Dans ceux-ci, dès les cinq premières minutes le risque est grand d’avoir vu une jeune fille se faire égorger, un brave retraité se prendre une balle en pleine tête. Plus loin dans le récit, on aura droit à des séquences « choc », propres à faire se dresser les cheveux sur le crâne ou se cramponner à son fauteuil. Je pense notamment à « La fille dans les bois » polar malsain qui avait choisi comme cadre l’Ardèche rurale : tous les poncifs « choquants » y étaient passés, vieux paysans violemment réactionnaires, anciens hippies organisés en secte au fond des bois, célibataire bon enfant fabriquant du miel dans sa ferme isolée et violant des petites filles dont il honorait ensuite le cadavre comme il l’aurait fait d’une madone (en robe blanche entourée de bougies !). Rien de tout cela pour captiver le public de la romance, le retenir devant son écran. Ce qui exige en contrepartie que l’intrigue soit construite subtilement mais fermement, que les personnages aient une réelle densité psychologique et que le contexte soit crédible (même, je dirais surtout, quand les faits se situent au-delà du réel). En France un Alain Chabat a bien compris la mécanique de ce type de film. « Santa et compagnie » en est la preuve manifeste. Et réussie.

Costumes et décors

Mais, pour bien comprendre cette « mécanique », il faut revenir au jugement, disons « stupide » et n’en parlons plus, de Cédric Melon : films tous « formatés de la même façon… même décors, mêmes costumes ». Il est évident qu’il n’a jamais vu le moindre de ces films et se base sur des infos qui ont dû lui être fournies, plus ou moins méchamment, devant la machine à café de la salle de rédaction. La robe du père Noël quand il intervient, la tenue des lutins, avec leurs petites oreilles pointues, OK, on peut imaginer qu’on les mette en réserve, mais les autres « costumes » ? Nous avons dans chaque film des jeunes filles et des jeunes hommes vêtus comme ils le sont dans la vie courante. On voit d’ailleurs la mode « bouger » quand un film date de quelques années. On peine à imaginer l’actrice principale se couler dans une petite robe moulante (celle qu’elle met pour son premier « rencart » avec l’élu de son cœur) qui aurait été dessinée l’année précédente pour une autre actrice dans la même situation. Le tout pour un bénéfice équivalent à zéro puisqu’il aurait, au minimum, fallu faire quelques retouches ! M. Melon doit imaginer les films de Noël comme les péplums des années 60, ou Ivanhoé et Ben Hur ! Ceci étant, j’ai souvenir d’avoir visité les studios des Buttes Chaumont au début des années 70, j’avais été impressionné par les pièces immenses dans lesquelles étaient conservés, soigneusement entretenus, des costumes susceptibles de servir pour « Les rois maudits », ou l’un de ces feuilletons « à costumes » dont la télévision (encore non privatisée) était coutumière en ce temps-là. Archiver des éléments de décor ou des costumes n’est pas en soi une preuve de radinerie ou de manque d’inspiration, mais et M. Melon semble l’ignorer, chaque catégorie de films a sa logique : si le guerrier romain revêt grosso modo le même costume quelle que soit la version « d’Astérix », ce ne peut pas être le cas de très jeunes femmes dont on prétend conter comment elles séduisirent leur prince charmant Et réciproquement.

Quant aux décors ! Il ne fait aucun doute que certaines scènes se déroulant dans un bureau, soit de direction, soit rassemblant plusieurs employés derrière leur ordinateur, se ressemblent. Que quelques unes, dans des films distincts, aient été tournées dans un même lieu, c’est possible, il faudrait mener une enquête (sans intérêt aucun) pour le vérifier. Si nous regardions à la suite plusieurs des films policiers que j’évoque ci-dessus, on éprouverait le même sentiment d’identité devant certains lieux, bureau du commissaire, bistrot de quartier. Cela a-t-il une incidence sur la façon dont nous percevons le film ? Non.

Leitmotiv

Par contre, dans les romances, de Noël ou autres, intervenant comme des leitmotivs non pas musicaux mais visuels, certains plans de coupe identiques (lorsqu’il s’agit de films réalisés par la même maison de production) rythment le déroulement de l’intrigue. Pour les films de Noël en particulier, l’un d’entre eux montre un clocher entouré d’arbres enneigés avec au premier plan un lampadaire.  C’est l’hiver ! Et la décoration rouge précise : c’est Noël !

Les romances de Noël tournées à New-York insèrent volontiers un plan montrant une patinoire située entre des buildings. Pour les Américains c’est une sorte de clin d’œil : nous sommes bien à New-York et c’est l’hiver….

Pour certains films de Noël et certaines romances se déroulant en zone rurale (disons plus précisément : hors d’une grande ville) un plan de coupe apparaît qui dit : « Ici vie paisible ; jugez-en vous-mêmes ».

Il faudrait être bécasson pour voir là des séquences réutilisées pour ne pas gâcher de la pellicule ! Les romances sont des films populaires, qui ont hérité, dans leur manière de s’offrir au spectateur, de certaines conventions propres aux premiers films jamais tournés. Je vois dans ces inserts le rappel des panneaux qui annonçaient dans les films muets ce qu’il fallait retenir des images à venir : « Le village » « La fête », « L’hiver », « L’amour ».

Aisance et naturel

Mais ce qu’on doit souligner et que M. Melon est incapable de découvrir puisqu’il traite d’un sujet qu’il ne connaît pas, c’est que la plupart de ces films donnent une étonnante sensation de décontraction (loin du pensum miteux que l’article de TéléCableSat donne à imaginer), la plupart du temps in situ : décors naturels, vraies rues et parcs, bistrots, appartements. Les plus anciens d’entre nous, puisque nous venons de perdre Jean-Paul Belmondo, se souviendront que le choc de « A bout de souffle » c’était non seulement la dégaine et le phrasé gouailleur de ce jeune comédien sorti de nulle part, mais aussi et surtout la sensation incroyable d’être plongés, avec lui, dans la rue, côtoyant les passants, mêlés à la circulation ou, plus tard, dans sa chambre avec l’adorable Jean Seberg. Or, la plupart des petites romances à deux sous, que ce pauvre Cédric cherche à déglinguer, nous offrent une sensation comparable. On le doit sans doute aux caméras utilisées aujourd’hui, leur miniaturisation, leur maniabilité (beaucoup de ces téléfilms ont dû être tournés en vidéo plutôt que sur pellicule, avant de l’être très certainement en numérique) permettent de se glisser partout sans perturber la vie alentour et d’approcher au plus près les visages, saisir les plus infimes réactions. Le plaisir est là et il donne, à ces ouvrages de pure fiction, une allure de reportage sur le vif, accentué par le naturel de jeunes comédiens délivrés de toutes les conventions (on est loin du faux naturel que nous impose la télévision, dans les journaux, les variétés, les pseudos débats organisés en plateau) et des contraintes des tournages d’autrefois quand les grues, les caméras géantes, le périmètre d’isolation coupaient le tournage de la « vraie vie ». Reste à prendre en compte le doublage en français. Il est parfois quasi miraculeux (la voix d’Andrew Walker reprise par le comédien Anatole de Bodinat, celle de Taylor Cole doublée par Chloé Berthier), parfois… moins, mais c’est une autre problématique..

Quoi qu’il en soit, ne s’agit-il pas là de paramètres qu’un journaliste consciencieux devrait interroger et chercher à mettre en évidence ? Et pourquoi commencer par dénigrer quand on ne s’est pas encore abandonné à la séduction d’un film ? Quand on ne s’est pas mis en position de ressentir sa tranquille aisance ? Laquelle oublie, et fait oublier, la très pernicieuse prétention du non moins prétendu « film d’auteur » : « Attention mesdames et messieurs, c’est du sérieux, découvrez-vous ! »

La qualité dans le champ artistique ne dépend pas des étiquettes.

Et la qualité de « Romance de Noël » n’est pas de celle dont le public peut avoir honte, n’en déplaise à… qui nous savons.  

A suivre