Le mas du Barret

Michel Jarrié La mémoire et l’imaginaire

 De Françoise Sagan à Kiki

par Michel Jolland

Tout le monde connaît Saint-Marcellin, Isère, pour son fromage, mais la ville a d’autres atouts dans sa manche. Nous laissons aux historiens et amateurs de patrimoine de cette jolie ville le soin de les commenter, mais nous voudrions retenir le nom d’une personne qui a compté pour Michel Jarrié puisqu’il a écrit sur elle, ou plutôt « autour d’elle ». Il s’agit de Françoise Sagan. Cette femme de lettres française contemporaine, parmi les plus célèbres dans le monde entier, dont plusieurs romans ont été adaptés – et ont fait des succès – au cinéma, a vécu une partie de son enfance à Saint-Marcellin même. Or si, depuis plusieurs mois il se murmure qu’une rue pourrait bientôt honorer le nom de Françoise Sagan, jusqu’alors son souvenir semblait avoir été effacé des mémoires locales. Pas chez Michel Jarrié, qui se demandait pourquoi la ville célébrait régulièrement la chanteuse Barbara, elle aussi ancienne Saint-Marcellinoise, et jamais Françoise Sagan.

Il anticipait ainsi le propos de Jean Briselet, infatigable chercheur passionné d’histoire locale qui, dans une interview publiée par le Dauphiné libéré du 27 juin 2021, rappelle que si Barbara et Françoise Sagan ont toutes deux séjourné dans la ville pendant la deuxième guerre mondiale, la première occupe indéniablement une large place dans les mémoires alors que la seconde a longtemps été, et reste peut-être encore, diversement appréciée. L’article du Dauphiné libéré précise que, depuis l’automne 2020, une rue de Saint-Marcellin porte le nom de celle qui publia en 1954, à dix-huit ans, l’inoubliable « Bonjour tristesse ». Il semble toutefois qu’à ce jour la plaque matérialisant cette annonce n’ait pas encore été installée. Jean Briselet qui, de longue date, milite en faveur d’une meilleure prise en compte mémorielle du lien entre Françoise Sagan et Saint-Marcellin, a engagé une enquête approfondie sur le sujet. Il vient d’enrichir son blog (http://thermopyles.info/category/francoise-sagan/) de neuf chapitres extrêmement documentés. Une démarche active qu’aurait sans nul doute saluée avec plaisir Michel Jarrié.

Michel Jarrié a passé sa jeunesse à Aramon dans le Gard où ses parents tenaient une boulangerie. Né en 1935, il fait partie des « appelés » pour l’Algérie. A son retour, il épouse une saint-marcellinoise et entame une carrière dans le commerce. Pendant 34 ans il sera, dans la Grande Rue de Saint-Marcellin, gérant d’une importante épicerie d’abord dénommée « L’Économique » – mais connue dans tout le canton sous l’appellation « Le 115 » – avant de devenir « l’Express ». Affable, souriant, sachant trouver le bon mot pour égayer la journée de chacun de ses clients, Michel Jarrié s’intègre rapidement dans le milieu commerçant de la ville. Mais pas seulement. Son ouverture d’esprit, son sens de l’animation et sa disposition naturelle à rendre service le projettent dans la vie associative et culturelle. Il s’investit dans des domaines aussi variés que l’action pour la reconnaissance des Harkis au sein de la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie-Maroc-Tunisie (FNACA), le développement du football au sein de l’Olympique Saint-Marcellin (OSM), les activités culturelles dans le cadre du Festival Marsianes dédié aux films d’aventures. Il cultive aussi une passion pour l’art et la photographie. Au décès de son épouse, Michel Jarrié retrouve Aramon et réalise son rêve de toujours : écrire. Il meurt en janvier 2020. Quelques semaines plus tard Aramon lui rend un hommage émouvant. accompagné par l’évocation des grands moments de sa vie rassemblés dans un texte rédigé par sa fille Dominique et sa cousine Martine.

L’Express vers la fin des années 1980 (Crédit : Dominique Jarrié)

Michel Jarrié a signé trois ouvrages et publié des récits courts sur le site Short Edition (https://short-edition.com/fr/auteur/jarrie) où il comptait de nombreux amis. Il n’est pas facile de ranger son travail dans une typologie préétablie. Lui-même d’ailleurs a jonglé avec tous les mots qui lui semblaient en mesure de caractériser le contenu de ses écrits. Le jeu des titres et sous-titres de ses livres est à ce propos évocateur : Aramon – Fables et Souvenirs (2015), d’Aramon en DauphinéConfidences et fantaisies (2016), Aramon et au-delà – Chroniques intimes (2020). En définitive les classifications importent moins que les intentions de l’auteur : « Dans les pages qui suivent, je me contente en toute humilité de faire ressurgir çà et là, les personnages qui ont émerveillé mon enfance, celle d’un petit Aramonais né dans l’entre- deux-guerres, dans un village plein d’esprit, de fantaisie et d’humanité » peut-on lire dans l’introduction de Aramon – Fables et Souvenirs. Consigner par écrit et transmettre des souvenirs personnels, des anecdotes de toujours, des morceaux de mémoire collective parfois un peu reconstruits ou enjolivés, tel est le dessein premier de Michel Jarrié. Son ambition n’est pas d’occuper le devant de la scène en tant qu’auteur, mais plutôt, comme il le formule dans le préambule de son deuxième livre, de rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, d’Aramon en Dauphiné, ont jalonné sa route.

Photo 4 couverture livre 2

Publié peu après sa mort en 2020, le troisième livre de Michel Jarrié, Aramon et au-delà – Chroniques intimes, porte l’empreinte d’une évolution déjà présente dans ses récits courts de Short Edition : les souvenirs et l’imaginaire se mêlent sans que le lecteur puisse décider ce qui relève des uns ou de l’autre. S’adressant directement à l’auteur dans une très belle préface, Dominique Lurcel, metteur en scène de la Compagnie Passeurs de Mémoire, trouve des mots très justes pour le dire « C’est en tout cas un des plaisirs savoureux que donne la découverte de tes récits : la frontière y est indécise entre fiction et réel, tu multiplies les fausses pistes, jouant d’un  » Je  » dont on ne sait pas vraiment qui est le narrateur, tu te fais passeur d’histoires dont on ne décèle pas toujours la provenance, de personnages dont on peut, à bon droit parfois, douter de l’existence réelle ». Mais derrière la fantaisie se cache un regard lucide. Quand Michel Jarrié fait en sorte que le destin finisse par apporter quelque richesse aux plus pauvres, que les enfants abandonnés retrouvent la trace de leurs parents, que les amours perdues parfois renaissent, quand il nous fait rêver avec des histoires qui se terminent bien, il nous dit à sa façon que ce monde n’est pas parfait et qu’il le souhaiterait meilleur.

Nous avons fait allusion à la présence de Françoise Sagan dans les écrits de Michel Jarrié. Dans d’Aramon en Dauphiné, sous le titre « Monique et Françoise », l’auteur présente une synthèse de tout ce qui se dit généralement sur le séjour à Saint-Marcellin de Monique Serf, qui sera plus tard la chanteuse Barbara, et de Françoise Quoirez, aujourd’hui connue sous le nom de Françoise Sagan. Il conclut en soulignant que si la ville a rendu hommage à Barbara en créant un square et un festival de chanson à son nom, Françoise Sagan, elle, n’a bénéficié d’aucune reconnaissance en dépit de « sa réputation mondiale d’écrivain moraliste du XXe siècle », et il ajoute :  « peut-être est-ce dû à son mode de vie « sulfureux » et à ses frasques d’enfant terrible qui effarouchaient les esprits conservateurs ». Publié dans Aramon et au-delà, le texte « Pensée pour Kiki »  illustre à merveille le talent particulier développé par Michel Jarrié pour, à partir d’un élément du monde réel, imaginer un conte qui ne dit pas vraiment son nom. Rien n’est totalement faux, rien n’est totalement vrai, tout est vraisemblable. Dans sa catégorie, « Pensée pour Kiki » est un vrai petit bijou.

Un bijou qui, il faut en convenir, rend brusquement palpable et concrète l’existence de cette étoile filante de la littérature, qui aura abordé bien des genres – dont le théâtre et le cinéma – et touché les publics les plus divers, tout en donnant l’impression de ne jamais travailler, elle dont les médias ne savaient retenir que les extravagances d’une vie agitée. En cela, cette brève nouvelle à la tonalité intimiste et sentimentale, « Pensée pour Kiki », rencontre et complète le travail de fond mené sous l’angle historique par Jean Briselet.

Le charme insolent de « Kiki » aura au moins su toucher l’âme de ces deux auteurs, et cela, pour un écrivain comme elle, qui trouva toujours dans les mots et les livres la consolation et la paix que la vie lui refusait, vaut tous les festivals et tous les hommages officiels.

Remerciements et compléments

Nous remercions Dominique Jarrié, Guy Bordera et Pierre Platon pour nous avoir aimablement transmis plusieurs documents et renseignements sur la biographie et les publications de Michel Jarrié.

La photo-portrait de Michel Jarrié et la photo de l’Express ont été fournies par Dominique Jarrié.

Le texte diffusé lors de la cérémonie d’hommage à Michel Jarrié (Aramon, 7 mars 2020) est consultable ici

L’article communiqué par Guy Bordera sur la présentation à Aramon du premier livre de Michel Jarrié est consultable ici Le Tambourin – Octobre 2016 by MairieAramon – issuu

La note de Pierre Platon sur les contributions de Michel Jarrié à Short Edition est consultable ici

Le dernier ouvrage de Michel Jarrié Aramon et au-delà – Chroniques intimes est toujours disponible à la vente (15 €). Les personnes intéressées peuvent contacter le Mas du Barret qui transmettra (lien direct en bas de page).