Le mas du Barret

Le vin de Saint-Vérand (Isère)

par Michel Jolland

Dans un précédent billet j’évoquais, en termes peu élogieux je dois le reconnaître, la production viticole au Barret dans les années 1970. Afin de dissiper toute équivoque je voudrais préciser que « la piquette du Pépé » est loin, très loin, d’être représentative du vin que la terre de Saint-Vérand a, au fil des siècles, donné à ceux qui la cultivaient. La vigne est d’ailleurs présente dans les plus anciens textes retrouvés à ce jour. En 1332 par exemple un certain Jean Cardinalis de Saint-Marcellin fait donation à sa femme Jeannette « d’une vigne en la paroisse de St Véran lieu dit al Vernatz » (Le Vernat).

En 1646, le mois de septembre est très pluvieux et octobre s’annonce pire encore. Les habitants se plaignent « de ce que les raisins de leurs vignes sont pourry attendu le longtans qu’il y a qu’il pleut journellement ». Le dimanche 16 octobre après la messe, les représentants de la communauté réunis en assemblée demandent permission au seigneur « d’establir les vendanges  vendredy vingt troix et samedy vingt quatre du mois courant  au mas de Moizina ». Avec quelques autres, Moisène est alors l’un des « mas » – mot à prendre au sens dauphinois de hameau rural – où la vigne tient une grande place.

Au XVIIe siècle et XVIIIe siècles, et sans doute bien avant, la précieuse vendange fait l’objet de toutes les attentions. C’est ainsi que le dimanche 11 août 1742, l’assemblée dépêche le curé de St Véran (orthographe d’époque) à la célèbre procession de Notre-Dame de l’Osier afin de préserver les récoltes de la grêle… Au XIXe siècle, l’ouverture des vendanges est toujours règlementée par arrêté municipal et le garde-champêtre est là pour veiller au strict respect des dates.

Il est temps, me direz-vous, de passer de la vigne au vin…

Le 10 février 1836, monsieur Decard, colonel en retraite, maire de Saint-Vérand, écrit à monsieur Martin, secrétaire des Écoles primaires de l’arrondissement de Saint-Marcellin. L’affaire est d’importance. Il s’agit rien moins que d’obtenir des aides pour construire une école à Saint-Vérand. Le maire, malade, ne peut se déplacer pour aller présenter le dossier à son interlocuteur. Il le prie de vouloir bien, si ses occupations le lui permettent, venir « partager la soupe d’un convalescent et vider une vieille bouteille de vin de Saint-Vérand ». Monsieur le maire a toute confiance en la qualité du vin de son village. Un vin qui, visiblement, bénéficie d’une bonne renommée locale.

Une confirmation autorisée sinon officielle va bientôt donner raison à monsieur le maire. Dans sa prestigieuse Ampélographie française, publiée à Paris en 1857, l’inspecteur général de l’agriculture Victor Rendu établit la « Nomenclature des vignobles secondaires produisant des vins d’ordinaire estimés ». Saint-Vérand est l’une des six communes de l’Isère citées pour leur vin rouge.

Au début du XXe siècle, la coutume veut que l’on termine les grands repas de famille par des chansons, des monologues, des charades ou des devinettes, des histoires parfois un peu grivoises, des poésies, des tours de cartes… En fonction de ses talents et de son répertoire, chaque convive est appelé à apporter sa contribution. Il est alors arrivé que l’on entende ces vers charmants :

Aujourd’hui, hormis quelques ceps gardés à titre de témoignage ou pour fournir des « raisins de table », les vignes ont pratiquement disparu à Saint-Vérand. On se souvient que l’homme de lettres saint-vérannais Paul Berret, chantre du Dauphiné et de ses légendes, commentateur de Victor Hugo, poète et photographe, a joliment célébré le « Vin de Murinais » dans son livre Au pays des brûleurs de loups. C’est précisément sur les coteaux de Murinais qu’il a fallu aller pour, en octobre 2016, photographier ce magnifique assemblage de piquets et de traverses formant tonnelle pour soutenir la vigne, un « bayard » pour employer le mot du parler local. Il était temps : il semblerait qu’il n’existe plus maintenant.

L’image mise en avant a été prise au Barret en 2015. Elle donne à voir quelques grappes d’Oberlin noir.

Le poème a été aimablement transmis par madame Gisèle Valente qui le tient de sa famille où il circule depuis le début du XXe siècle.