Le mas du Barret

Où l’on reparle de cumacle, chambrière, poêles et marmites…

Par Michel Jolland

Si, nous le verrons, l’expression « couper le cumacle » n’a pas été vraiment élucidée, du moins l’appel lancé sur ce site le 17 mai 2022 a-t-il permis de prolonger l’exploration des dispositifs utilisés pour cuisiner dans les cheminées ouvertes avant la généralisation des poêles à bois ou des cuisinières. Jean-Michel Effantin, auteur de conférences très appréciées sur la façon de se nourrir et de cuisiner au début du siècle dernier dans les familles paysannes des coteaux de la Drôme proches de Chambaran, nous donne deux indications précieuses. Il confirme tout d’abord que l’objet accroché près de la cheminée du Barret est bien celui qu’il décrit sous le nom de « chambrière », et surtout il fournit une photographie de l’objet en question, accompagné d’un trépied en triangle permettant de poser la poêle juste au-dessus de la braise. Même si « l’étrier porte-poêle » du Barret se présente en 2006 sous la forme de deux ferrailles désolidarisées, la ressemblance avec la « chambrière » des collines de la Drôme est à n’en pas douter évidente.

25 juin 2005 au Barret. On reconnait le trépied en triangle parmi les accessoires rouillés plus ou moins identifiables accrochés à gauche de la cheminée
21 mars 2006. Dernière flambée (avec les restes d’une vieille table bancale) avant la démolition de la maison. Bien visible sur la gauche de la cheminée, la « chambrière » du Barret est en deux morceaux.

Dans le même temps, depuis l’Ardèche, département dont il aime faire connaître les personnalités artistiques comme l’a encore montré son récent et excellent article sur le Mas, Jacques Roux poursuivait son questionnement de départ : « que signifie couper le cumacle ? Cette expression était-elle autrefois courante à Saint-Vérand et dans les communes voisines ? ». La logique du raisonnement l’a amené a établir le lien entre deux éléments : et si « couper le cumacle » venait du Vercors, d’une part berceau de certains de ses ancêtres et, d’autre part, lieu où se trouve le célèbre « Pas du cumacle » ? La réponse est venue de Jean Julien, infatigable chercheur et ambassadeur du Vercors, en particulier – mais pas seulement –du Vercors de la Résistance, doté de solides connaissances et d’une riche bibliothèque. Dans une publication non datée, diffusée par le Centre Permanent d’Initiation à l’Environnement (CPIE) du Parc de Vercors et consacrée à la toponymie locale, on peut lire page 98 : « Le pas du Cumacle (el Cumaclo au XIVe siècle), c’est-à-dire de la crémaillère. Passage difficile ? ». Cette source confirme la piste de la crémaillère mais n’éclaire malheureusement pas l’expression « couper le cumacle ».

Publication du CPIE du Parc du Vercors, non datée. Première de couverture.

Il convient par ailleurs constater que les efforts déployés par Christian Pevet et ses amis patoisants de « la Franketà » à Vinay n’ont pas non plus permis d’avancer. Il se confirme qu’aucun d’eux n’a le souvenir concret de l’objet dit « cumacle » et désigné par Armand Mante sous le terme « étrier et porte-poêle », page 217 de son Patois et vie en Dauphiné, le parler rural d’Izeron (Isère) ainsi que nous l’avons déjà signalé. Ils connaissent le mot chambrière (la chambrèr) mais seulement comme dispositif destiné à stabiliser une charrette dételée, ce qui effectivement est l’acception habituelle du mot en parler rural du pays. Pour Christian Pevet, cavalier émérite, « la chambrière » évoque aussi, et même prioritairement, le fouet utilisé pour stimuler les chevaux dans un manège par exemple.

Il ne faudrait surtout pas se laisser entraîner vers des conclusions défaitistes. Que le même objet soit, dans des secteurs géographiques proches, voire d’un village à l’autre, désigné par des mots différents est la caractéristique même des patois parlés couramment dans les campagnes dauphinoises jusque dans les années 1970, aujourd’hui encore présents – sous la forme de mots, expressions ou tournures typiques – dans les parlers locaux qui les ont remplacés. Nous conseillons à  nos lecteurs de consulter sur ce point le remarquable avant-propos rédigé par le professeur Gaston Tuaillon, romaniste spécialiste des dialectologies franco-provençales, pour  le livre d’Armand Mante cité ci-dessus. Plus largement, le langage que nous parlons au XXIème siècle  est constitué de strates multiples, dont certaines subsistent à l’état de traces avant peut-être de disparaître définitivement ou de s’épanouir à nouveau. Nous savons que l’expression « couper le cumacle » est encore en vigueur au moins dans une famille. Peut-être est-elle en usage ailleurs et, pourquoi pas, promise à un regain d’intérêt dans un futur proche ou plus lointain ? Le dossier reste ouvert.

Les investigations autour du « cumacle » ont parfois pris le chemin des caves et des greniers. L’occasion de retrouver – et de mettre à l’honneur – la crémaillère et la petite marmite du Barret…