Le mas du Barret

De la serpe aux bougnettes : en France tout finit par des chansons

par Michel Jolland

Au Mas du Barret, nous connaissons Jean Jullien pour ses recherches historiques sur – et son engagement mémoriel pour – la Résistance en Vercors. Il est l’un des piliers du groupe GAMMON qui, avec beaucoup de rigueur et de minutie, collecte, analyse et agence en une construction méthodique documents et témoignages sur cette période de notre histoire. Nous savons aussi qu’il promène sur le monde d’hier et d’aujourd’hui un regard lucide et néanmoins plein d’altruisme et de bienveillance, un regard nourri par la lecture des meilleurs auteurs et surtout par un lien profond avec la terre et la nature. Nous ne sommes donc qu’à moitié surpris de le voir, serpe à la main, « appointer » un piquet.

Avec son autorisation, nous reproduisons le commentaire qu’il nous adresse en complément du billet sur « La serpe », publié dans ces pages il y a quelques mois.

 « Je me suis bien reconnu dans l’article sur « la serpe ». J’utilise encore volontiers celle de mon père, à tranchant unique et pour appointer. Ça marche bien à condition de placer le tuteur au bord du « plot » comme on disait chez nous. La serpe était « la goin », sans doute « la goua » dans une transcription orthographique un peu francisée.

A Vénérieu, près de Crémieu, un élève m’avait appris cette chansonnette sur l’air de la danse « Les Bougnettes »

Il devait y avoir d’autres couplets mais je ne me souviens que de ces deux-là ».

Voici, à titre purement indicatif, une tentative de traduction :

Le mot « mario », qui clôt l’extrait de la chansonnette reproduite ci-dessus, pose question. L’élève qui a transmis le texte à Jean Jullien n’a pas su, à l’époque, en donner la définition. Le sens induit par le texte semble orienter vers un équivalent de « fagot » ou de « tas de fagots ». Simple et sans doute hasardeuse supputation. Dans le parler local du Sud Grésivaudan, que nous avons plusieurs fois mis à l’honneur notamment avec « Lo ko de zieu do Kristian », on connaît le terme « bario » qui, selon Armand Mante, désigne « un chevron soutenant les tuiles creuses d’une toiture ». Il est tout à fait possible que l’on ait ici ou là, façonné des « barios » à la serpe en partageant par le milieu une latte de châtaignier au fil particulièrement droit. Mais, à supposer que ce soit le cas, cela ne nous dit rien sur la signification de « mario ». L’enquête est ouverte…

« Barios » de châtaignier sur un vieux toit

Un mot sur les bougnettes puisque nous sommes dans le parler local. Familièrement, une bougnette est un beignet savoyard à la pomme de terre. Aliment plutôt roboratif, si l’on se réfère à l’expression « être bougné », utilisée par les gens du pays pour signifier qu’ils ont bien -voire trop – mangé, au point d’être littéralement « remplis ». La danse « Les Bougnettes » est une danse traditionnelle du Dauphiné et de la Savoie qui figure en bonne place dans le répertoire de tous les groupes folkloriques régionaux. Tantôt en patois local, tantôt en français, les paroles varient d’une vallée à l’autre. Elles sont parfois détournées à des fins humoristiques, notamment pour se moquer gentiment des habitants d’un bourg ou d’un canton voisin. Il semblerait que la version originaire soit connue sous le titre « La farandole des bords du Rhône ». Quoi qu’il en soit, dans la région de Saint-Marcellin on connaît bien ce refrain même s’il est parfois sujet à de légères variantes : « Puis quand tout est terminé, faisons la noce, faisons la noce, puis quand tout est terminé, faisons la noce en Dauphiné ».

Notes :

La photo mise en exergue a été fournie par Jean Jullien. Elle montre comment on peut « appointer » un échalas ou un piquet avec une serpe à tranchant courbe.

Pour avoir une idée de la danse « Les Bougnettes », on peut suivre ce lien  https://www.youtube.com/watch?v=vsg-SEMiMxM

Dans son ouvrage « Patois et Vie en Dauphiné – Le parler rural d’Izeron », Armand MANTE propose une liste des « mots et expressions passés du patois dans le français local ». Le mot « bario » est cité p. 295.