Le mas du Barret

Entre question de style et interrogation sur soi – Que disent le Je et le Nous employés par un auteur ?

Telle est la question…

Jacques Roux

Un courrier à moi adressé s’étonne de me voir employer le « Je » dans des débats qui relèvent de la réflexion, de la recherche, et mériteraient de ma part une autre forme de revendication : le « Nous » que mon interlocuteur nomme « de modestie ». Au Mas du Barret, ce type de débat constitue le pain quotidien de nos relations à Michel Jolland et moi-même. Et si le site existe, c’est aussi pour partager, non seulement nos coups de cœur, nos emportements et nos trouvailles, mais aussi nos questionnements. Après avoir sollicité son consentement, je publie donc le courrier de mon correspondant et ma réponse. Mon petit doigt (à Saint-Vérand le petit doigt supplée sans contestation possible – et avantageusement – tous les « réseaux » dits « sociaux ») me donne à penser que Michel Jolland ne tardera pas à ajouter son grain de sel.

Courrier reçu à mon domicile il y a quelques jours et dont la problématique m’apparaît comme digne de figurer dans les pages du Mas du Barret.

« Je me permets de vous adresser ce courrier directement, puisque je vous en sais l’auteur : il s’agit de vos deux publications récentes sur le Mas du Barret, l’une sur Candide et son Musée du Bizarre, l’autre sur la « chansonnette », Publications que j’ai beaucoup appréciées, comme tout ce que vous acceptez de publier, d’ailleurs, le problème n’est pas là. Mon courrier fait suite à une question qui me vient à l’esprit souvent en vous lisant : vous utilisez systématiquement le « je », alors qu’il me souvient qu’on nous enseignait en cours de français, quand j’étais au lycée, lorsqu’il s’agissait d’un texte de réflexion, d’utiliser le « nous » de modestie. Je n’ai aucun doute sur la réalité de votre modestie, pour vous avoir approché à plusieurs reprises, mais j’aimerais beaucoup si vous pouviez m’éclairer sur votre choix stylistique. Je ne doute pas que vous faites cela sciemment et je me demande si votre position peut servir de modèle… à quelqu’un comme moi entre autres ! »

Cher lecteur et ami (je me permets ce terme car votre question est de celles que seuls des amis peuvent se poser en toute sérénité), je vais tenter de vous répondre simplement, sans me réfugier derrière un argumentaire trop intello. Le « nous » que vous appelez de politesse et qu’utilisent en effet nombre de grands auteurs, en philosophie, sociologie ou autres thématiques complexes, m’apparaît surtout, et d’abord, comme la mise en avant d’une attitude de recherche dans laquelle l’auteur, sans nécessairement faire constamment référence à eux, rappelle qu’il se situe parmi d’autres chercheurs. « Nous chercheurs, en pareille circonstance, nous estimons que… ». Ce « nous » c’est celui d’une communauté. Dans mon univers, et tout spécialement en tant qu’auteur sur le Mas, je ne saurais avoir la prétention de relever de pareille communauté. 

En l’occurrence, c’est donc mon « je » qui se veut « de modestie ».

Ce n’est pas tout : dans un travail de réflexion destiné à faire « avancer » (comme on dit !) la science, le savoir, le « nous » de l’écrivant a, me semble-t-il, une autre visée : associer le lecteur au travail en cours, comme si le penseur, le chercheur, lui demandait, ou lui offrait l’opportunité, de s’associer à sa démarche, à son cheminement. Là encore, je ne saurais avoir la prétention d’embarquer quelqu’un dans ma carriole !

De fait, ici je me réfère à votre courrier, c’est volontairement que je suis passé au « je » (et mon ami et responsable du site, Michel Jolland, de même), Il s’agissait de ne pas masquer une évidence : mes analyses, mes réflexions, mes jugements ne sont marqués du sceau d’aucune quelconque autorité : ma réputation « scientifique » dans tel ou tel domaine, mon appartenance à une « école », un institut, une confrérie « autorisée ». Cela ne me prive pas pour autant d’intervenir dans des champs qui sont généralement annexés par des sommités (critiques, spécialistes divers) et ne m’empêche pas de savoir que, comme le chercheur que j’évoquais tout à l’heure, je marche sur les brisées de personnalités, d’auteurs, que je respecte, sans nécessairement partager leurs points de vue. La grande difficulté, quand on travaille « dans son coin », et ce coin peut-être très modeste, ce peut-être comme les publications que nous avons offertes à l’association « Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui », une petite association de village, ce peut être un site Internet non chaperonné par une structure emblématique, comme Le Mas du Barret, la grande difficulté donc est de s’autoriser à poursuivre ses propres réflexions et recherches sans culpabiliser et sans craindre les diktats venus d’ailleurs (de quoi se mêle-il ?).

Il y a quelques années, quand Michel Jolland et moi tentions de reconstruire l’histoire de la sculpture qui trône au dessus du village de Saint-Vérand, « Notre-Dame des Champs », nous nous sommes trouvés confrontés à des affirmations proférées par une personnalité drômoise, reconnue par ses pairs locaux comme « historien » patenté. Il avait pourtant commis l’erreur capitale de confondre Duilio Donzelli (le sculpteur de Notre-Dame des Champs) avec son fils, Dante Donzelli, attribuant au second une œuvre emblématique du premier (les stations du « Grand Voyage » de Romans). Pour n’avoir pas, si j’ose dire, la « patente », faut-il pour autant se taire ? Ce serait ridicule. Mais à ce moment-là, le « je » qui énonce est tout à la fois la revendication d’une affirmation assumée, fut-elle dérangeante, et la marque d’une autonomie de pensée qui ne se prétend rien de plus que ce qu’elle est.

Il n’est pas dit qu’un jour certaines propositions de ce « je » soient reconnues comme ayant une valeur en soi, indépendantes de cette personnalité minimale et obscure, cela est arrivé à d’autres qui sont dans notre Panthéon, je n’aurai pas l’orgueil de prétendre que cela m’indiffère, je me suffis cependant, aujourd’hui, d’avoir l’orgueil de revendiquer  ce que je publie en le signant. Et, convenons-en, « Je, Jacques Roux », c’est logique et acceptable, « Nous, Jacques Roux », façon Louis XIV, ce serait plutôt ringard , non ?

Voilà mon cher ami tout ce que vous pouvez lire et entendre dans ce « je » qui vous a troublé et qui m’a donné l’occasion et le plaisir d’échanger avec vous.

Duilio Donzelli à côté de ses panneaux du Grand Voyage, de Romans