Le mas du Barret

La casserole du Pépé

par Michel Jolland

Un lecteur nous a récemment adressé un message plutôt sympathique au sujet de l’enchaînement des articles sur le Mas du Barret. Après avoir souligné qu’une certaine agilité d’esprit était indispensable pour s’y retrouver dans les séries ouvertes, interrompues (parfois longuement), puis reprises après que d’autres sujets aient été, entre-temps, abordés ou annoncés, il a finalement reconnu que ce zeste d’imprévisibilité et de fantaisie contribuait au charme du site. D’autant que chaque billet a son unité et son indépendance propres. Fort de cet avis je reviens, avec je l’avoue beaucoup de plaisir, à la chronique sur les objets du Barret.

Et ce n’est pas avec n’importe quel objet que je remets l’ouvrage sur le métier ! Cette casserole, c’est celle que mon grand-père avait façonnée jusqu’à la rendre pratiquement carrée afin de l’ajuster à la grille du « potager ». On appelait communément « potager » la table de maçonnerie munie de réchauds à braises et d’une arcade pour récupérer les cendres. Au Barret, la table était en molasse, elle se trouvait sous la fenêtre de la cuisine et comportait deux cavités à  braises (« les grilles ») pour faire cuire à feu doux ou réchauffer les plats.

La casserole du Pépé était affreusement cabossée mais pour rien au monde il ne l’aurait changée. Il est vrai qu’il avait la réputation d’être « un original » et, soit dit en passant, ce qualificatif ne lui déplaisait pas forcément. Au soir de sa vie, vivant seul, presque impotent, il passait le plus clair de son temps devant la cheminée à entretenir le feu (« tuzer le feu » disait-on localement), l’hiver pour « démeurtrir l’air » glacé de la maison, l’été pour allumer sa pipe à l’aide d’une brindille enflammée. Il s’attachait aussi à toujours maintenir une certaine quantité de braises. Vers le milieu de l’après-midi il recueillait quelques charbons ardents qu’il transportait dévotement vers le potager. C’était le rituel du vin chaud.

Le mot « vin » n’est pas exactement celui qui convient. C’était plutôt, comme le chantait admirablement Jean Ferrat, « une horrible piquette ».  Un mélange de Baco et de Clinton, deux variétés interdites depuis la loi de 1934 mais encore bien présentes à Saint-Vérand dans les années 1970, mélange auquel on ajoutait quelques grappes squelettiques de « lambrusses », ces lianes sauvages issues des repousses d’anciennes vignes disparues (les spécialistes parlent de « lambrusques postculturales »). Il en courait en abondance jusqu’au sommet d’un bouquet d’arbustes au coin d’un champ, pour le plus grand bonheur des oiseaux qui héritaient de la majeure partie des grappes, totalement inaccessibles aux vendangeurs. Pour couronner le tout, cette piquette était coupée d’eau. Soyons précis : plus le modeste stock diminuait à la cave plus la quantité d’eau augmentait dans la casserole.

J’ai souvent proposé au Pépé de lui acheter du vin du commerce pour améliorer son breuvage. Pas question. « Son vin » lui rappelait la joie indélébile du retour au pays et des vendanges retrouvées après quatre années terribles passées au front en 1914-1918.