Le mas du Barret

Variations autour d’un modèle connu (5)

L’irradiation lumineuse (2)

par Jacques Roux

Nous avons préalablement évoqué comment, trompés par des informations erronées, nous avions Michel Jolland et moi-même cherché du côté des années 1580 la peinture qui avait servi de modèle à l’une des copies présentes dans l’église de Saint-Vérand (38). Copie que nous avions baptisée, sans grand risque de nous tromper : « Adoration des bergers ». Le curé Rey qui signale l’avoir achetée en 1866 la nommait tout simplement « Nativité de NSJC » (données fournies par Michel Jolland dans « Les cinq merveilles de l’église de Saint-Vérand », cahier publié par l’association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui. On trouvera dans cette même publication plus d’informations sur le sujet ici abordé. Et particulièrement celle-ci : que l’original avait été retrouvé par le journaliste historien Bernard Giroud.)

Le tableau de Saint-Vérand est intéressant, picturalement parlant, à plus d’un titre. Mais nous nous sommes attardés sur un thème spécifique : l’irradiation lumineuse du corps de l’enfant Jésus. Il pouvait être en effet un guide dans nos recherches car, des « Adorations des bergers », il en existe une multitude et beaucoup signées par de grands peintres, on pourra y revenir dans un autre billet. Mais les Adorations mettant en évidence ce phénomène d’irradiation sont plus rares. Peut-être, pure hypothèse, parce qu’il y a là, de la part du peintre, comme une sorte d’engagement personnel dans son œuvre. Certes la lumière est une thématique fondamentale dans l’histoire de la peinture, et pas nécessairement dans la peinture figurative, mais l’associer à un thème religieux manifeste son implication dans ce thème. Peindre l’enfant Jésus baignant de lumière  tous ceux qui l’entourent c’est dire : je crois en la divinité de cet Enfant que je représente. Je ne suis pas seulement peintre, je suis aussi messager : je transmets la Nouvelle (l’irruption de Dieu dans le monde des humains).

Toujours est-il que, dans notre quête de l’original de la copie saint-vérannaise, nous avons suivi plusieurs pistes dont une qui nous a conduits vers Gerrit Van Honthorst (originaire des Pays-Bas, 1590-1656) auteur d’au moins deux « Adoration des bergers », dont l’une avait manifestement un lien avec « la nôtre ».

Datée de 1620 elle était manifestement trop récente pour cadrer avec la date impérative fournie par le curé Jasserand (voir notre billet précédent : L’irradiation lumineuse 1), cependant ce phénomène d’irradiation lumineuse était indéniablement le cœur de l’œuvre et là, contrairement à ce qu’on observe chez La Tour, pas de source de lumière extérieure, pas de bougie, pas de flambeau. Le corps seul de l’enfant Jésus éclaire la scène.

Honthorst nous incita à chercher ses propres modèles, les maîtres qui l’inspirèrent, et parmi eux, un peintre de haute volée : Le Corrège (Italien, 1489 – 1534). A la différence de Honthorst il anticipait nettement sur la date butoir fournie par le curé Jasserand, mais là encore le phénomène d’irradiation lumineuse était incontestablement l’épicentre du tableau et, un peu comme le visage de la Marie de Honthorst, celui de sa Vierge avait une douceur comparable au visage marial saint-vérannais ; la lumière irradiant de l’enfant comme à Saint-Vérand semble éblouir ceux qui l’approchent et, détail trivial mais signifiant, les anges survolant la scène n’y sont pas, comme souvent, des angelots, des bambins, mais de jeunes adultes, ou adolescents, planant dans les nuées. Ce détail, à Saint-Vérand est caractéristique, à ceci près que le copiste n’a pas réussi à leur donner la légèreté nécessaire pour qu’ils soient crédibles (crédibles en tant qu’anges !!!).

Nous ne poursuivrons pas au-delà le récit de notre quête, ce serait fastidieux. Il n’empêche, lorsque Bernard Giroud a déniché, au Prado à Madrid, « L’adoration des bergers » d’Anton Raphaël Mengs (1728 – 1779), une œuvre datant de 1769 (nous sommes loin du 1580 jasserandien), il a été facile de remonter la chaîne. Car Mengs s’est inspiré de Corrège et de Honthorst. Mais il ne s’en est inspiré qu’en tant que peintre. Chez lui, l’irradiation lumineuse est source de prodigieux effets picturaux, elle n’est pas, elle n’est plus, un message spirituel.

Nous isolons ci-dessous un détail de cette œuvre gracieuse tel qu’il a été transcrit par le graveur Morghen (mort en 1833). Cette gravure – ou une gravure « d’après Morghen » comme c’était souvent le cas au XIXème siècle – a très certainement été le modèle suivi par le copiste saint-vérannais comme le donne à comprendre le contrejour accentué qui isole dans l’ombre le visage de Joseph, au premier plan.