Le mas du Barret

Du côté de chez Mante (1)

Le Dauphinois bienveillant : Armand Mante

par Jacques Roux

Le Dauphiné s’enorgueillit, à juste titre, de son héros sans peur et sans reproche, Bayard. Mais il serait temps, en ces jours troublés où le débat cède le pas à l’invective, où l’espace public qu’était la rue devient champ de bataille, où la haine écrase de tout son poids la respectueuse « fraternité » toujours invoquée au fronton de nos mairies, de se chercher un modèle moins guerrier, plus fraternel justement. Un héros bienveillant.

Armand Mante pourrait être celui-ci. Poète, enseignant, chercheur plus soucieux d’ouvrir des voies au savoir que revendiquer une légitimité récupérée, à moindre frais, par d’autres, il n’a laissé dans son sillage que ce qu’un homme peut produire de meilleur. Des témoignages d’engagements généreux et pacifiques, des initiatives constructives, éclairantes, des écrits aussi lumineux et ronds en bouche que les chants de son idole Brassens, des travaux linguistiques dont la richesse n’a encore pas été évaluée à son juste prix. Son livre sur le parler d’Izeron peut servir de pierre touche à toute étude sur les parlers dauphinois : « le Mante » est le livre de référence que toute personne se revendiquant « Dauphinoise » se doit d’avoir à portée de main. A portée de cœur devrait-on dire.

Le Mas du Barret a décidé de lui rendre justice. Certes, et malheureusement, il n’est plus temps pour lui, mais il est temps pour nous. Nous, qui l’avons côtoyé, qui avons cru le connaître, qui, un peu comme dans la chanson, sommes passés tout près de lui « sans le voir » vraiment.

Nous qui sommes en dette. Et le regrettons.

Né à Izeron en 1926 il est venu mourir 87 ans plus tard à quelques kilomètres de là, à Saint-Vérand. Qu’on ne s’y trompe pas : sa vie ne s’est pas limitée aux quelques routes et chemins qui relient ces deux communes, même s’il a sans aucun doute cheminé plus qu’aucun autre d’un côté et de l’autre de l’Isère, et dans ce Vercors qu’il aimait, et dans la vallée, les coteaux, les hameaux disséminés, les champs et les bois… Plus qu’aucun autre aussi grisé par tout ce que cette petite parcelle d’espace pouvait offrir d’alcools à son âme : les parfums, les couleurs, les vents changeants, les sols escarpés, la terre cultivée par un peuple rude, obstiné et volontiers gouailleur, toutes richesses dont il savait les noms, en français et dans « l’autre » langue, celle d’un temps disparu qui ne peut s’effacer.

Cette autre langue qu’il a mise sur sa table, avec les trésors qui comptaient pour lui, la poésie et ses chants infinis, Brassens, la liberté, la nature, les hommes… et les photos de ses enfants.

Homme simple parmi les simples, comme eux avec ses faiblesses exhibées, comme eux avec ses richesses cachées. C’est de tout cela que le Mas du Barret veut s’efforcer de parler, tentant d’approcher la personne, son parcours complexe : sans négliger la cantine scolaire créée à Djerba (Tunisie), ni l’Amicale laïque de Saint-Marcellin, ni les galéjades rustiques mises sur pied avec les Patoisants de Vinay, ni l’iconique Brassens, ni les poèmes égrenés tout au long de sa vie (il fut couronné du prix René Guy Cadou ce n’est pas rien !), ni le patois bien sûr, ce savoureux parler dont il a « glané », selon ses mots, les fleurs discrètes et volatiles avant de « prendre à bras le corps une gerbe d’épis savoureux » dont il mit – et continue de mettre – le goût à la bouche de tant de lecteurs…

Le Mas du Barret est en quelque sorte un héritage des engagements d’Armand Mante : il s’agit bien, comme il le fit si longtemps, si patiemment et si paisiblement, de polir encore et encore les diamants dont la terre d’ici regorge, les paysages, les pratiques, les produits.

De tous ces diamants les hommes ne sont pas les moins précieux. Si divers, si déconcertants, horripilants même, souvent, mais leurs mains font germer du sol les fruits, les fleurs, les champs, les vergers, et les murets, les maisons, les villages. Et ils parlent ! Parlant, ils inventent, ils rêvent, ils vivent, ils vivent même quand leur corps déjà s’est tu : regardez ce qu’il en est des livres d’Armand Mante, écoutez son « Patois et vie en Dauphiné » qui ne cesse de discourir, frais comme une source intarissable, et savant avec ça ! Et drôle !

C’est pourquoi, dans les semaines à venir, le Mas du Barret, à sa façon et à son rythme, ouvrira sa porte à cet ancien compagnon de maraudes, aux confins des mots, de la pensée, des fantaisies de l’imaginaire, Armand Mante, qui fut très tôt, à l’initiative de Michel Jolland, membre d’honneur de l’association « Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui » avec qui il partagea nombre de débats et d’animations. L’homme s’est échappé hélas, avant que lui soient posées les questions qu’il aurait fallu poser, avant qu’aient été échangées les idées qui auraient mérité de l’être, avant surtout que lui ait été glissée à l’oreille cette confidence : qu’on lui devait beaucoup. A lui : son travail et sa personne.

Son ombre n’en doutons pas sera quand même de la partie : il nous plaît de penser qu’elle guidera nos pas.

Avec bienveillance.