Par Michel Jolland
Au cimetière de Montagne la stèle de la tombe de Willi Münzenberg, personnalité politique de l’entre-deux guerres dont nous avons souvent parlé dans ces pages, a récemment été nettoyée. Plusieurs spécialistes l’ont examinée pour déterminer la nature exacte du matériau qui la compose. On a parlé de fibrociment, puis de calcaire de la région de Saint-Marcellin, puis d’un moulage en béton avant, dernièrement, de revenir à l’hypothèse de la pierre car on aurait repéré des traces de coquillages. Une chose est sûre : lorsque l’on examine l’inscription, on note l’absence de tréma sur le nom (Münzenberg) et de points sur les « i » (Willi, juin) alors que le mot « août » est dûment pourvu de son accent circonflexe. Que dire de ces absences : choix graphiques ou difficultés techniques ? Grâce au concours amical de madame Colette Allibert, présidente honoraire de l’Association Patrimoine et Histoire de l’Industrie en Dauphiné (APHID), l’enquête sur la stèle s’est enrichie d’éléments nouveaux. A son invitation, Jean-Marc et Philippe, deux passionnés de géologie, se sont rendus au cimetière de Montagne. Ils nous livrent leurs conclusions.
Peut-être est-il utile, avant de prendre connaissance de ces conclusions, de revenir sur l‘histoire peu banale de la tombe de Münzenberg ? Willi Münzenberg, né en 1889 à Erfurt en Allemagne est, rappelons-le, un homme politique engagé d’envergure internationale pendant l’entre-deux guerres. En 1933, il s’exile à Paris où il initie des mouvements mondiaux contre le fascisme et pour la paix tout en militant pour une Allemagne démocratique et une Europe unie. Il décède de mort violente en juin 1940 à Montagne. Son corps sera retrouvé en octobre seulement. Informée par des amis, Babette Gross, sa compagne de vie et fidèle collaboratrice, veut s’assurer que le corps découvert à Montagne est bien celui de son mari (1).
En mai 1941, alors qu’elle vient juste de s’installer à Mexico après avoir quitté la France et séjourné au Portugal, elle reçoit la confirmation d’un ancien collaborateur qu’elle a dépêché sur place : c’est bien Münzenberg qui est mort et enterré à Montagne (2) . Il est d’abord inhumé dans ce que le plan du cimetière dressé en 1948 nomme « les fosses communes » (3). Désireuse de lui donner une vraie sépulture, Babette Gross mandate Hans Schulz, ancien secrétaire personnel et ami de Münzenberg vivant alors à Paris sous son nom de résistant, Jean Douvrain, pour régler la question de la tombe. Dans un courrier du 2 juillet 1945 adressé au maire de Montagne, Jean Douvrain signale qu’un certain Roger Martin de Grenoble a été chargé d’adresser un croquis de « la pierre tombale » au marbrier Gerarduzzi de Saint-Marcellin (4).
En novembre 1947, Babette Gross écrit à un ami et revient sur le projet d’inscription funéraire pour la tombe de son mari. Elle a choisi « une grande et belle plaque de marbre » chez un marbrier de Saint-Marcellin. Un ami de Willi, graphiste à Paris, a fait un croquis pour l’inscription qui sera gravée en très grandes lettres monumentales. Le recours à ces adjectifs mélioratifs laisse entendre que Babette est soucieuse de faire réaliser une stèle à la hauteur de ce que son mari a été pour elle et pour l’Histoire. Sans doute aussi souhaite-t-elle fournir une description suffisamment engageante pour motiver les contributeurs financiers qu’elle sollicite au passage ? Babette termine cette lettre de novembre 1947 sur une note particulièrement touchante : « A partir du cimetière le regard porte loin dans la riante vallée de l’Isère avec au-delà les Alpes du Dauphiné, un endroit trop beau pour y être enterré, mais pourtant cela, en quelque sorte me rassure que Willi y repose. » (5)
Que seraient en effet la tombe et la stèle de Willi Münzenberg sans l’écrin exceptionnel que leur offre le magnifique village de Montagne ?
A y regarder de près, il reste beaucoup d’éléments à éclaircir quant à réalisation de la stèle. La chronologie des opérations s’étale dans le temps et reste floue. De nombreuses personnes sont concernées, à des moments et à des titres divers . Retenons simplement que l’intervention de Gerarduzzi, seul marbrier à être cité, est tout à fait probable sans toutefois être formellement confirmée et, incidemment, soulignons la qualité esthétique du travail effectué par cet artisan de Saint-Marcellin. En marbrerie funéraire, le terme marbre désigne toute pierre suffisamment compacte pour donner un rendu brillant après polissage. Quelle était la nature de la « grande et belle plaque de marbre » choisie par Babette en 1947 ? On peut faire l’hypothèse que ce matériau était d’usage courant puisqu’il se trouvait dans le stock de la marbrerie. En revanche, la taille en relief qui caractérise l’inscription de la stèle semble être d’un usage plus rare. Il serait intéressant de savoir si elle était fréquemment employée dans les cimetières locaux au milieu du XXe siècle. L’enquête est ouverte…
Dans l’immédiat, nous tenons à remercier madame Allibert pour son concours et Jean-Marc et Philippe pour leur analyse de la stèle de Montagne. Leurs conclusions figurent dans le PDF ci-dessous, adressé à Colette (Allibert) et Michel (Jolland), et publié avec leur accord.
NOTES
(1) Voir https://www.masdubarret.com/?p=3053 https://www.masdubarret.com/?p=3118 https://www.masdubarret.com/?p=3165
(2) IIHS Amsterdam, Fonds Brupbacher, lettre de Babette Gross à Paulette Brupbacher, 13 juin 1941. Babette ne donne aucune indication sur la manière dont son émissaire est parvenu à cette conclusion.
(3) Plan conservé aux AD Isère (côte 20J35).
(4) Archives municipales de Montagne.
(5) Lettre de B.G. à E.M., novembre 1947. Traduction inédite en cours de publication par l’Association Européenne Willi Münzenberg (AEWM).