Le mas du Barret

Les Madones de Saint-Vérand

Volet 1 Notre-Dame-des-Champs et sa maquette

Par Jacques Roux

Une sculpture sans sculpteur

Le cas n’est pas rare : dès qu’on sort de la commande officielle à un artiste ou un atelier de renom, qui ne négocient jamais sans que leur « marque » soit apposée à leur production, on se soucie peu dans le monde religieux (je parle du catholicisme) de l’auteur de l’œuvre qu’on accroche au mur ou qu’on installe sur un piédestal dans une église ou encore, comme à Saint-Vérand, au sommet d’un coteau. Comme la plupart du temps les historiens locaux sont peu au fait de l’histoire de l’art, et s’en désintéressent, le mobilier religieux, quel qu’il soit, ne reçoit de signature que de son (ou ses) commanditaire(s). Ou prend un nom qui l’identifie pour son voisinage, ainsi la célèbre « Bonne Mère » de Notre-Dame de la Garde à Marseille dont tout le monde se contrefiche qu’elle soit issue du projet de trois sculpteurs parisiens. A Saint-Vérand, « Notre-Dame-des-Champs », baptisée ainsi par son commanditaire, le curé Jasserand, est restée de son installation en 1954 aux années 2012/2015 où Michel Jolland et moi-même avons progressivement reconstitué son histoire, la statue « du curé Jasserand ». Un peu comme si elle était sortie, à la manière d’Athéna, toute armée de son puissant cerveau. Dans le premier Hors-Série des Cahiers de Saint-Vérand, paru en 2015 (Association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui Mairie 38160 Saint-Vérand), nous avons rendu à Duilio Donzelli son œuvre et, dans le même temps, nous avons rendu à cette sculpture géante son statut d’œuvre d’art. Son charme indéniable repose à la fois sur l’élégante disposition de son corps, penché avec attention sur le village situé en contrebas, dont elle est censée être la protectrice, et son visage imprégné d’une surprenante noblesse et d’une absolue sérénité.

La petite grande sœur

Si Notre-Dame des Champs, perchée sur son coteau est une figure géante, destinée à être vue de tous les lointains, sa maquette, située dans le Chœur de l’église du village, relève plutôt de la miniature. Tout au plus mesure-t-elle un mètre et ses formes graciles sont comme d’évanescentes évocations de celles de sa grande sœur. Grande sœur, la formule est trompeuse. Si, sur le plan de la taille, elle se justifie, elle perd toute légitimité si par « grande » nous croyons dire « aînée ». Car alors, la « grande sœur », c’est elle. Pour être honnêtes nous savons peu de chose sur son histoire, nous ignorons même s’il n’y eut pas, avant elle, d’autres maquettes : une formule équivoque du curé Jasserand (parlant de 1ère et seconde « ébauche » dans le Bulletin Paroissial) laissant planer le doute. Toujours est-il qu’il semble bien que ce soit elle qui apparaisse sur un cliché du photographe Noël Caillat, montrant les tailleurs de pierre travaillant sur les blocs destinés à échafauder l’œuvre finale avec, sous les yeux, un modèle en miniature : notre maquette. Il existe d’autres clichés d’elle (qui eux aussi peuvent laisser planer le doute : voyons-nous bien toujours le même visage ?). L’un d’entre eux fut récupéré par le curé Jasserand et, longtemps après l’érection de Notre-Dame des Champs, était vendu par lui comme l’authentique représentation de l’œuvre. La « grande sœur » était peut-être jalouse du destin grandiose de sa cadette ? Toujours est-il qu’on trouve déjà en elle la grâce fluide de la « Dame » légèrement courbée, et surtout, différent de celui qui surplombe la commune, un visage d’une finesse exceptionnelle. Il est utile d’observer côte à côte ses deux profils : nous sommes proches ici de l’épure. D’un côté le recueillement, de l’autre comme si, venu d’un au-delà à rêver, se dessinait un sourire angélique.