Le mas du Barret

Cent ans d’école à Saint-Vérand – Craie blanche et tableau noir

 

par Jacques Roux

Raymond Inard

Raymond inard présente son  exposition lors du vernissage du 30 octobre 2015

Il n’est pas inutile de revenir, même si l’affaire est déjà lointaine et que l’actualité depuis nous bouscule, sur l’exposition « Cent ans d’école » qui fut programmée à Saint-Vérand (38) du 30 octobre au soir au 3 novembre 2015.

Présentée sous l’égide de l’association Saint-Vérand Hier et Aujourd’hui, elle a été préparée par Raymond Inard. Préparée est le mot qui convient puisque ce sont des années d’archivage méthodique de documents de tous ordres, articles de presse, photographies, affiches qui ont permis à cet homme, amoureux de son village au point de lui avoir consacré une grande partie de son existence, de présenter au public un regard sur ce qui fut une partie de son passé. Passé d’écoliers. D’enfants d’écoliers. De petits enfants… Cent ans d’histoire offerts sous la forme de cent ans de petites histoires égrenées au fil de photographies de classes, anecdotes, récits, images parfois drôles, parfois douloureuses, toujours attendrissantes. Craie blanche et tableau noir, blouses rugueuses et lourds cartables.

Bien entendu la visite donna lieu à des conversations dont on peut deviner sans difficulté la teneur, souvenirs d’un côté, questions de l’autre. Il faut admettre l’idée que peu à peu les témoignages les plus lointains cessent de parler : personne n’est là pour reconnaître les visages, des familles entières ont disparu, le village de Saint-Vérand aujourd’hui n’est plus ce qu’il était il y a un siècle.

Pourtant, elle n’est pas si loin, dans les consciences et dans les crânes, la petite guerre qui précéda (et suivit) l’ouverture des écoles laïques de Saint-Vérand en 1905. La majorité, qu’on ne nommait pas encore silencieuse, des habitants était issue du monde rural et se nourrissait moralement et idéologiquement du discours des autorités religieuses, lesquelles relayaient (et réciproquement) le discours de certaines politiques conservatrices et bien pensantes. Que Napoléon III et l’impératrice Eugénie aient encore si bonne presse à Saint-Vérand, au point qu’on pense que les tableaux du Chœur aient pu être des dons impériaux, est significatif. A Saint-Vérand la République n’avait pas bonne presse en 1905 et l’école publique apparaissait plus comme une menace pour l’église que comme une chance offerte aux plus démunis. Il faut croire que certains Saint-Vérannais, Paul Berret est le plus connu d’entre eux, surent faire preuve d’assez de courage et d’obstination. Qui contesterait aujourd’hui, ouvertement, l’école publique ? On sait bien les services qu’elle a rendus. Ce ne fut peut-être pas dit avec assez de clarté lors de la soirée inaugurale, mais cette école-là ouvrit les portes du savoir et de la liberté de conscience à bien des enfants que leur naissance aurait conservés à la marge du système social. Le signataire de ces lignes n’oubliera jamais ce qu’il doit à l’école gratuite et obligatoire…

La soirée d’ouverture, revenons-y, fut une jolie réussite à laquelle participèrent nombre d’élus, M. Bernard Eyssard, maire, en tête. Loin des conflits d’antan l’atmosphère était conviviale et chacun eut à cœur, en privé ou en public, de confier ce qu’il avait retenu de ses « années d’école ». L’innovation, on la doit encore à Raymond Inard qui avait eu l’idée de ce film, fut la projection d’un documentaire « Sur les chemins de l’école », réalisé par madame Chantal Ouvréry à l’occasion du centenaire de 2005. Dans ce moyen métrage dont la tonalité n’est pas sans rappeler la vision du monde rural d’après guerre du « Farrebique » de Georges Rouquier et qui réussit à éviter les clichés rose bonbons qu’on aurait pu redouter, une caméra chargée d’empathie s’est approchée au plus près des visages, des mains, de la voix et du cœur de quelques « vieux enfants » dont « l’école » et « le maître » hantent toujours la mémoire. Souvenirs déchirants et tendres, regrets, il semblait que la porte s’ouvrait toujours pour eux sur les bancs et les bureaux, le vieux poêle à bois et le tableau noir terrifiant. On aurait aimé, c’est vrai, quelques contrepoints, les souvenirs d’écoliers ayant aimé l’école, des souvenirs évoquant le bonheur d’apprendre quand on ne sait rien de ce qui fait le monde et son histoire, personne cependant, dans la salle, ne bouda ni son plaisir ni son émotion.

Quelques témoignages parmi d’autres firent planer malgré tout l’ombre d’un chagrin, la mort étant passée par là. Mais c’est aussi la règle du jeu pour des manifestations de ce genre : le passé qu’elles contemplent d’un côté s’échappe dans la nuit de l’oubli, de l’autre vient lécher nos pieds, comme la vague sur la plage. Le sol à cet endroit-là, n’est pas stable. Il arrive que la vague emporte sa proie.

          P1010020Chantal Ouvréry, réalisatrice du film « Sur les chemins de l’école – L’école de Saint-Vérand a cent ans »  (2005)